Le cingle, une spécificité de Dordogne

Entre le Buisson à l’amont et Lalinde à l’aval, la Dordogne forme deux courbes successives à la géométrie étirée. Ce sont les cingles de Limeuil et de Trémolat. Le mot cingle viendrait du latin cingulum qui désigne une ceinture. Un autre cingle bien connu est celui de Montfort. C’est une terminologie locale que l’on ne retrouve pas sur le cours amont de la rivière dans le département voisin, ni sur la rivière Lot, pour désigner des méandres tout à fait comparables.

Extrémité nord du cingle de Trémolat avec son parcellaire rayonnant.

  Une jolie figure géométrique

La jolie figure des deux cingles - Carte d’Etat-major - 1866

A l’observation de cartes ou de photographies aériennes, les cingles de Limeuil et Trémolat composent une très jolie figure géométrique, parfaite de symétrie qui attire le regard et attise la curiosité. La rivière forme deux méandres étroits d’une longueur d’environ 4 km, orientés au nord, et reliés par une contre-courbe tout aussi régulière. C’est cette répétition du motif, de la figure qui constitue l’originalité de ces méandres, leur gémellité, qui reste relative quand on y regarde de plus près. Ce double dessin tellement identifiable en cartographie est moins simple à appréhender sur le terrain.

  Symétrie/dissymétrie

Fort contraste entre le versant boisé abrupt et la basse plaine alluviale. Cingle de Trémolat.

Si les cingles de Limeuil et Trémolat se distinguent par la symétrie des méandres, par contre, la particularité de ces paysages résident dans la forte dissymétrie entre la berge basse, dans la partie intérieure du méandre et la berge concave de la rive droite, caractérisée par le front calcaire qui s’élève presque verticalement à 70 m au-dessus de l’eau. Le contraste topographique est accentué par l’occupation du sol. L’intérieur du méandre est un paysage cultivé, peigné, rangé tandis que les versants abrupts et le rebord de falaise sont désormais colonisés par les boisements spontanés à dominante de chênes. Un autre point de dissymétrie tient à l’échelle des perceptions. Le paysage des cingles se découvrent à deux échelles très différentes. Le plus commun est de rejoindre les points de vue en rebord de falaise qui offrent une vision panoramique. L’œil ne peut pas même embrasser le cingle en entier. Une autre possibilité est de gagner le méandre, se rapprocher de la rivière et découvrir le pied de falaise.

  La vision panoramique

Les courbes sont trop grandes et le dénivelé trop faible pour saisir la si jolie figure repérée sur la carte. Que ce soit de Beauregard, sur le cingle de Limeuil ou Rocamadou, sur celui de Trémolat, la découverte du méandre est partielle mais elle est impressionnante. L’aplomb sur la rivière, en particulier sur le cingle de Trémolat, qui escamote les premiers plans accentue le caractère spectaculaire. Le ruban de la rivière, festonné par une ripisylve plus ou moins épaisse ceinture une ample étendue de champs ponctuée par quelques bouquets d’arbres enveloppant des corps de ferme. Malgré la grande taille des parcelles, le caractère rayonnant du parcellaire souligne toujours la courbe de la rivière. De temps à autre, une pièce de noyers enrichit la composition, ajoutant un peu d’épaisseur et une nouvelle texture à ce grand « tapis vert » qui se déploie en contrebas. Quelques serres aussi s’introduisent dans le paysage, avec davantage de raideur que les vergers. Au-delà des parcelles cultivées, la vue panoramique révèle aussi la fine topographie qui caractérise les deux méandres avec le jeu de terrasses courbes qui s’emboitent pour rattraper progressivement le versant sud de la vallée.

De Beauregard, vue sur le pied de falaises et le hameau de Sors en vis-à-vis, enveloppé de végétation. Cingle de Limeuil
Du haut de la falaise, vue sur la plaine alluviale cernée par le coteau boisé. Cingle de Trémolat
Comme les cingles, les ponts se dédoublent. Pont routier et pont ferroviaire en amont de Trémolat.

Plusieurs ponts enjambent la rivière que l’on distingue aisément depuis les points de vue. Ce sont de beaux ouvrages d’art en pierre dont les silhouettes à plusieurs arches donnent à percevoir la largeur de la Dordogne. Pourtant la traversée des cingles n’est pas facilitée. C’est la voie ferrée qui enjambe à quatre reprises la rivière alors qu’il n’y a que deux ponts routiers.

  Les perceptions à fleur de berge

Quitter la vue plongeante pour rejoindre la rivière offre d’autres émotions. Il est possible d’emprunter sur certaines séquences l’ancien chemin de halage pour contempler le pied de falaise abrasé en stries régulières par la force hydraulique. C’est un très beau spectacle de se tenir face à la paroi dont la courbe ne révèle qu’un fragment et tenter d’en découvrir davantage en avançant dans l’eau. Par endroits, la falaise entaillée verticalement ressemble à des piliers sculptés, comme une sorte d’architecture fantastique enfouie sous la végétation. Pour les amateurs d’espace et de lumière, il est possible de rejoindre des lieux plus paisibles, où la falaise s’est éloignée et l’horizon s’est agrandi.

Pied de falaise au lieu-dit Sors. Cingle de Limeuil
Grande ampleur de la rivière, horizon élargi. Base nautique de Trémolat.

  L’entre-deux

De la première terrasse au-dessus de la basse plaine alluviale, la perception est moins spectaculaire mais la sensation d’espace est forte. Cingle de Trémolat.

Entre la vision grand angle des belvédères et la perception intimiste en bord de berge, on peut aussi savourer la découverte du paysage des cingles en sillonnant le méandre, profiter de la sensation d’espace, repérer l’élévation progressive des terrasses naturelles, admirer la qualité du bâti traditionnel, sa manière savante d’épouser la microtopographie pour préserver la terre alluviale et se mettre autant que faire se peut, à l’abri des crues. C’est bien pourquoi, il ne faut pas se contenter des vues panoramiques. Après la vision d’ensemble, il faut entrer dans le paysage à petit pas en empruntant les chemins.

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