La Dordogne sous le regard des peintres et des écrivains

Malgré leurs qualités esthétiques et pittoresques relevées depuis au moins la fin du XIXe siècle, les paysages de Dordogne ont peu compté dans l’histoire de la peinture. Aucun artiste célèbre n’a planté son chevalet le long des vallées ou sur leurs coteaux, sur les plateaux calcaires ou les collines boisées. Cependant, des peintres locaux de talent, majoritairement paysagistes, regroupés par les historiens d’art dans l’École de Périgueux, ont participé à la valorisation des paysages de la Dordogne, et plus particulièrement ceux des vallées vers lesquelles ils ont tourné inlassablement leurs regards.

  Le regard des artistes

Le Périgord vu par les peintres, 2018

Cette carte réalisée à partir des paysages représentés dans le livre Le Périgord des peintres, synthèse de Jean-Michel Linfort, publiée aux éditions Fanlac en 2010, met en lumière de manière presque caricaturale l’attraction des peintres pour les paysages pittoresques des vallées. Périgueux, son paysage urbain et les rives de l’Isle sont également bien représentés.

Vallées toujours [1]

Eaux et ciels
Couverture du livre de Jean-Michel Linfort, Le Périgord des peintres, Fanlac, 2010
Anonyme, Rocher de Beynac, sd

La couverture est illustrée d’un paysage représentant le Rocher de Beynac, sur la Dordogne. L’œuvre anonyme (coupée ici à droite), met en scène les principaux éléments qui caractérise cette partie de la vallée : la falaise, le village à ses pieds, la perspective ouverte par la rivière sur la lumière du ciel et de l’eau qui entrent en contraste avec les coteaux boisés qui ferment l’horizon. L’originalité de cette peinture réside dans son cadrage qui exclue du champ le château, principal élément patrimonial du site.

A gauche, André Saigne, (1883-1944), Le pas de Miroir aux Eyzies, sd, Musée d’art et d’Archéologie de Périgueux (MAAP) ; A droite, André Saigne, Vallée de la Vézère au Moustier, sd, MAAP

André Saigne, libraire et peintre amateur, offre au spectateur la vision d’une vallée de la Vézère pleine de douceur. A gauche, dans une palette où dominent les verts nacrés et les gris cendrés, le paysage, savamment composé, exprime les principaux éléments de la vallée : la falaise, les rochers calcaires, le miroir de la surface de l’eau, la végétation sombre des coteaux et des collines du Périgord noir, que relève au premier plan, le jaune d’une prairie ensoleillée.
A droite, l’artiste, peint un paysage moins impressionniste, aux ambiances plus minérales. La rivière n’est plus le sujet central de la toile. Les rochers, les boisements au sommet de la colline, le village serré au pied de la falaise, la couleur sombre des arbres composent à part égale le paysage du tableau.

Falaises et rochers, motifs anciens et contemporains

C’est le long des vallées que les peintres trouvent les éléments de nature auxquels ils aiment confronter leur art et leur technique. Les rochers, les formes tourmentées des falaises, leurs anfractuosités, leur surplomb sont hier comme aujourd’hui les sujets irremplaçables du paysage pittoresque.

A gauche, Marcel Pajot, Falaise sur la Vézère, 1990 A droite, José Corréa, Le Rocher de Caudon, sd

Ces deux artistes contemporains, peintres et illustrateurs, réinterprètent dans ces aquarelles les éléments de nature parmi les plus diffusés des vallées encaissées de Dordogne.

Châteaux, églises et moulins, le bâti patrimonial partout présent

Le patrimoine bâti des villages, églises, châteaux, moulins sont d’autres invariants des peintures de paysages des vallées départementales.

A gauche, Robert Dessales-Quentin (1885-1959), Vieux pont sur le Céou en Sarladais, sd ; à droite, Robert Dessales-Quentin, Église de Saint-Astier-en-Périgord, sd

Le cours des deux rivières (le Céou à gauche, l’Isle à droite) est au centre de la composition des aquarelles de Robert Dessales-Quentin. Les éléments du patrimoine bâti – le château, le pont sur le Céou, l’église de Saint-Astier - y sont intimement associés [2]. Les effets de lumière dans l’eau, les silhouettes des arbres le long des berges, les collines qui closent l’horizon... font partie des éléments archétypaux des paysages des vallées départementales.

Panoramas

Le fonds de cartes postales de la Société historique et archéologique du Périgord présente un nombre important de prises de vues panoramiques, montrant l’intérêt des photographes du début et du milieu du XXe siècle pour ce type de représentations. Il en est de même des peintres dont les œuvres illustrent le livre de Jean-Michel Linfort.

Georges Darnet (1859-1936), Ferme en Périgord, sd, Musée d’art et d’archéologie de Castelnaud

Ce beau panorama, rare représentation où sont associées vallée et plateau, n’est pas précisément situé. Il décrit un paysage « ordinaire », une calme campagne périgourdine qui se déploie en une succession de plans colorés, finissant par buter, très loin, sur l’horizon bleuté.
Aucun obstacle ne perturbe cette large vue qui mêle intimité (les toits orange de la ferme qui donne son titre au tableau, les couleurs des feuillages des arbres isolés ou en bouquets marquant la présence d’un vallon) et le grand plan ouvert du moutonnement des collines et du ciel.

Lucien de Maleville (1881-1964), Le château et le village de Castelnaud, sd

Plus classique dans son sujet, le site de Castelnaud sur la vallée de la Dordogne, ce tableau du peintre Lucien de Maleville dont une grande partie de l’œuvre a été dédiée à la description du patrimoine bâti d’Aquitaine [3], s’attache ici à rendre tout le pittoresque de cette partie de la vallée de la Dordogne : le village de pierres imbibées de la lumière dorée du soleil, les falaises et les rochers dont la blancheur s’extrait du sombre des boisements des plateaux, les larges prairies ouvertes le long du cours d’eau…

Images immuables des villes : Périgueux et Bergerac

Dans leur traversée des villes, les rivières et les monuments qui les bordent focalisent le regard des artistes. C’est le cas de l’Isle et de la cathédrale Saint Front à Périgueux, de la Dordogne à Bergerac. Les cadrages choisis par les graveurs, les peintres, les photographes pour représenter ces deux villes ont très peu évolué depuis le XXIe siècle.

Jean-Georges Pasquet (1853-1936), Vue de Périgueux depuis la rive gauche de l’Isle, sd, MAAP
Jean-Georges Pasquet (1853-1936), Vue de Périgueux depuis la rive gauche de l’Isle, sd MAAP Édouard Baldus (1813-1889), Cathédrale Saint-Front, Périgueux, sd Médiathèque de l’architecture et du patrimoine, RMN ; Les bords de l’Isle, Comité départemental du Tourisme de Dordogne, sd

Trois vues classiques sinon uniques du paysage de Périgueux : quelles que soient les époques, la silhouette de la cathédrale saint-Front et les façades des maisons alignées sur la berge se reflètent dans l’eau de l’Isle. Si l’on excepte les cartes postales anciennes qui s’appliquent à des décors plus variés et les ambiances de rues aux cadrages resserrés, les représentations artistiques du site de Périgueux continuent à creuser le même sillon quels que soient les supports et les périodes.

Bergerac et la Dordogne

En mettant en scène systématiquement, avec plus ou moins de bonheur, la façade de la ville sur la Dordogne, les représentations anciennes et contemporaines de Bergerac sont tout aussi stéréotypées.

Jules Philippe (1819-1…), Ville de Bergerac, sd, Bibliothèque municipale de Bordeaux, Gallica
Bergerac, CDT de Dordogne, sd

  Le regard des poètes et des écrivains

Les images, les représentations paysagères créées par la littérature sont bien moins accessibles au grand public que celles des arts visuels. En Dordogne, quelques figures littéraires ont marqué cependant la mémoire collective périgourdine et forgé des images de paysage d’autant plus fortes qu’elles sont régulièrement réactivées [4].

Montaigne, La Boétie, Le Roy et les auteurs de terroir pour les fonds d’ambiance

À St-Michel-de-Montaigne, à la frontière girondine, [5] Montaigne [6], sans avoir commis à notre connaissance de réelles descriptions de paysages de Dordogne, auréole la campagne périgourdine des qualités de son œuvre humaniste et universaliste. Dans l’œuvre de La Boétie, son ami sarladais, un sonnet sur la rivière Dordogne [7], rend compte marginalement de l’amour du poète pour les paysages périgourdins.
Parmi les auteurs périgourdins les plus célèbres, Fénelon ou Brantôme régulièrement cités, n’ont guère parlé paysages.

Eugène le Roy, Le Moulin de Frau, illustrations de Louis-Joseph Soulas, Mornay, 1927 ; Eugène le Roy, Jacquou le Croquant, illustrations de Louis-Joseph, Mornay, 1925

Il en est tout autrement d’Eugène Le Roy dont l’influence a été et demeure la plus perceptible. Cet écrivain né en 1836 dans le château de Hautefort où ses parents étaient domestiques a écrit des romans (Le moulin de Frau, Jacquou le Croquant, …) largement diffusés et lus jusque tard dans le XXe siècle. Ces textes parfois dont certaines éditions ont été illustrées par des graveurs ou des illustrateurs de talent, adaptés par le cinéma et la télévision ont contribué à construire des images de paysages périgourdins dont la beauté sombre [8] est marquée par des conditions de vies difficiles des paysans.

« J’aimais ces immenses massifs de bois qui suivaient les mouvements du terrain, recouvrant le pays d’un manteau vert en été, et à l’automne se colorant de teintes variées selon les espèces : jaunes, vert pâle, rousses, feuille-morte, sur lesquelles piquait le rouge vif des cerisiers sauvages, et ressortait le vert sombre de quelques bouquets de pins épars. J’aimais aussi ces combes herbeuses fouillées par le groin des sangliers ; ces plateaux pierreux, parsemés de bruyères roses, de genêts et d’ajoncs aux fleurs d’or ; ces vastes étendues de hautes brandes où se flâtraient les bêtes chassées ; ces petites clairières sur une butte, où, dans le sol ingrat, foisonnaient la lavande, le thym, l’immortelle, le serpolet, la marjolaine, dont le parfum me montait aux narines, lorsque j’y passais mon fusil sur l’épaule, un peu mal accoutré sans doute, mais libre et fier comme un sauvage que j’étais. »

Eugène Le Roy, Jacquou le Croquant, B2Q, sd

Aujourd’hui, des écrivains de « terroir » dont Christian Signol est un des représentants les plus lus, racontent, sous forme de romans historiques, la vie des paysans, ouvriers des forges, gabariers, instituteurs…, continuant ainsi à perpétuer des images anciennes du territoire. Cette nostalgie est perceptible dans leurs descriptions des paysages souvent cantonnés à leurs caractères génériques ou ancestraux. Rivières et forêts y tiennent une place importante.

« Lorsque le Biang disait « la rivière », il ne voulait pas dire seulement l’eau. Il parlait des saules et des aulnes, des algues et des herbes, abris des libellules, des insectes et des oiseaux. Il parlait des rochers, des anses calmes où les crapauds viennent frayer, des sources vers lesquelles remontent les écrevisses, il parlait d’un monde qui avait un sens, d’amont en aval, et où chacun, de l’algue à l’homme, avait sa juste place. »

Thalie de Molènes, Ricou et la Rivière, Flammarion, 1999

[1L’essentiel des informations de ce chapitre sur la peinture des paysages de Dordogne est extrait du livre de Jean-Michel Linfort, Le Périgord des peintres, Fanlac, 2010

[2La plupart des paysages de ce peintre mettent en scène les rivières de Dordogne. L’ouvrage de Jean-Michel Linfort présente quatre de ses œuvres. Trois d’entre elles ont pour sujet une portion de vallée : la Dronne à Brantôme, Bassillac sur l’Isle, le confluent de la Vézère et de la Dordogne à Limeuil.

[3Voir sur le site de la DRAC Aquitaine, une partie de ses dessins des monuments de Dordogne : http://aquitaine.culture.gouv.fr/dossiers-thematiques/d3da575f2f4b67f26dba61915f0da803/

[4Il est évidemment difficile de mesurer la réalité de l’ancrage des images mentales dues à des œuvres de la littérature savante ou populaire. On ne peut qu’observer les références qui y sont faites dans les guides touristiques, historiques et géographiques.

[5On exclue volontairement ici les références à la littérature en langue occitane et à celle du Moyen-Age et des troubadours, les considérant trop marginales dans le cadre de ce travail.

[6Son château dont seule une tour subsiste constitue une étape prisée et appréciée des circuits touristiques départementaux,

[7Je vois bien, ma Dordogne encore humble tu vas :
De te montrer Gasconne en France, tu as honte.
Si du ruisseau de Sorgue, on fait ores grand conte,
Si a-t-il bien été quelquefois aussi bas.

Vois-tu le petit Loir comme il hâte le pas ?
Comme déjà parmi les plus grands il se compte ?
Comme il marche hautain d’une course plus prompte
Tout à côté du Mince, et il ne s’en plaint pas ?

Un seul Olivier d’Arne enté au bord de Loire
Le fait courir plus brave et lui donne sa gloire.
Laisse, laisse-moi faire, et un jour ma Dordogne

Si je devine bien, on te connaîtra mieux :
Et Garonne, et le Rhône, et ces autres grands Dieux
En auront quelque ennui, et possible vergogne.

Etienne de La Boetie, Sonnets, X, "A Madame de Grammont"

[8Jean-Michel Linfort parle dans un de ces chapitres de « Légende des campagnes obscures » pour laquelle semblent s’être associés littérature, gravure et peinture.