Formes urbaines et silhouettes bâties : une identité patrimoniale

Le département de la Dordogne est réputé pour sa grande richesse patrimoniale avec son nombre imposant de châteaux, d’églises, d’architectures prestigieuses et de villages emblématiques. Mais ces hauts lieux qui font la notoriété du département pourraient faire oublier l’étroit maillage de hameaux, de villages, de bourgs et de villes plus importantes qui accueillent les habitants, concentrent la vie et participent de manière importante à la diversité des paysages.
Le département de la Dordogne est réputé pour sa grande richesse patrimoniale avec son nombre imposant de châteaux, d’églises, d’architectures prestigieuses et de villages emblématiques. Mais ces hauts lieux qui font la notoriété du département pourraient faire oublier l’étroit maillage de hameaux, de villages, de bourgs et de villes plus importantes qui accueillent les habitants, concentrent la vie et participent de manière importante à la diversité des paysages.
Chaque village, chaque ville est unique. C’est le résultat d’une histoire, d’une topographie, d’un ensemble d’architectures, de matériaux locaux, de savoir-faire et d’un environnement favorable ou moins, voir hostile. Chacun est unique et pourtant nous proposons de présenter ces paysages bâtis sous forme de familles. Cette proposition de classement n’a rien d’exhaustif, il est des villages qui pourraient illustrer plusieurs familles, comme une bastide perchée qui donne l’exemple à la fois d’une bastide et d’un village perché. Si nous avons choisi de proposer cette approche, c’est à la fois pour aborder les facteurs qui ont présidé à ces modèles urbains, mais également pour attirer l’attention sur leurs caractéristiques et évoquer leur rôle dans le paysage.

Six familles sont décrites qui correspondent à trois leviers principaux :
-  C’est le pouvoir politique qui a présidé à la fondation des bastides, l’édification des villages fortifiés ou des enceintes autour des abbayes.
-  Ce sont les flux, les voies d’eau, voies d’échange, voies marchandes, voies de circulation qui réunissent les villes et villages implantés dans les vallées, mais également ceux que la voie ferrée a desservis, ou la déviation et maintenant l’autoroute.
-  C’est la géographie, la qualité des terres, la topographie, l’orientation qui ont imprimé leur marque sur les villages perchés ou les villages agricoles qui se tiennent serrés sur leurs terres.

Ces facteurs à l’origine de la construction ou de la transformation des paysages bâtis sont aujourd’hui remplacés par de nouveaux facteurs, mais il reste important de s’interroger sur la compréhension, la préservation et l’évolution des paysages bâtis pour continuer à se réjouir de leur qualité et de leur diversité.

  Les bastides : un modèle urbain volontaire et original

La bastide de Monpazier, protégée par ses fortifications, fondée au XIII ème siècle
Carte des principales bastides de Dordogne

Conçue la plupart du temps à partir d’un tracé régulier, protégée par des fortifications, la bastide est une sorte de grand lotissement, fondé par un pouvoir politique qui souhaitait voir s’implanter une population d’actifs sur son territoire. Ce modèle de « ville nouvelle » fondée au XIII ème siècle se rencontre dans un large sud-ouest. En Dordogne, 18 bastides sont dénombrées, sans prendre en compte les bastides avortées estimées au nombre de 7. [1]. Elles sont plutôt situées dans le sud et le sud-ouest du département.

Certaines bastides ont gardé leurs caractéristiques urbaines d’origine avec une forte densité bâtie, comme Beaumont, aux confins du Bergeracois et du Périgord Noir, d’autres sont désormais de petits villages au tissu desserré, implanté sur une trame cadastrale orthogonale comme par exemple Beauregard dans la vallée de la Crempse (commune Beauregard-et-Bassac, dans le Périgord Central) ou d’autres encore ne portent guère plus de traces de leur fondation et ressemblent à un simple hameau comme Vernode (commune de Tocane, dans le Périgord Central). Ces villes nouvelles peuvent être d’origine anglaise comme Monpazier (Périgord Noir) ou Villefranche-de-Lonchat (La Double et le Landais), française comme Eymet (Bergeracois) ou Domme (Périgord Noir)ou bien d’origine comtale comme Vergt (Périgord Central). Dans le cadre de cet atlas, c’est la dimension paysagère de ces ensembles bâtis que nous allons développer.

La force du plan régulier

La singularité de chaque bastide repose sur le fait que le « concept » de trame régulière s’est adapté, déformé, pour s’accorder au site d’implantation, ce qui fait qu’aucune bastide ne se ressemble. Certaines sont compactes, presque carrées comme Monpazier, dans le Bergracois, tandis que d’autres s’étirent et s’allongent comme Beaumont, aux confins du Bergeracois et du Périgord Noir.

Des places régulières accueillant des architectures hétérogènes. Eymet

L’autre force de ce « concept » de trame régulière est qu’il supporte, voir qu’il accueille une relative hétérogénéité architecturale. Au centre de la place, au long de ces rues, peuvent se côtoyer des façades d’aspect médiéval avec d’autres à l’architecture de la fin du XIX, soit sept siècles d’écart, ou bien des façades en pierre qui voisinent avec des élévations en pans de bois, des cornières en plein cintre avec des cornières en arc brisé, sans que le regard ne soit heurté, ni même que le promeneur ou l’habitant ne soient conscients de l’hétérogénéité de l’architecture. C’est donc l’urbanisme médiéval avec ses règles de densité, d’alignement, de prospect qui est à l’origine de ce patrimoine diversifié, emblématique dont certains exemples contribuent à la notoriété patrimoniale du département.

Un autre atout de ce plan régulier est qu’il est structuré par un réseau de voies qui ceinturent les parcelles ; de ce fait, il y a toujours une rue ou une ruelle qui fait le tour de la bastide et permet soit de profiter du paysage alentour, soit de regarder l’architecture. C’est pourquoi, pour les bastides sur les hauts de relief, la vue sur le paysage n’est jamais confisquée pour l’usager de l’espace public, ce qui n’est pas le cas pour d’autres villages plus concentriques.

Saint-Aulaye, une bastide blanche
Villefranche-du-Périgord, des pierres ocres
Monpazier, des pierres nuancées
Beaumont-du-Périgord, une bastide colorée

Le dernier atout de ce « modèle » urbain d’origine médiévale est qu’il s’est adapté aux ressources locales, voire très locales. C’est pourquoi chaque bastide, selon sa localisation géographique compose un paysage et une ambiance qui lui sont propres, qui tient aux matériaux de construction, aux silhouettes des bâtiments, aux pentes de toiture.

Les bastides sur relief

Il existe plusieurs situations de relief qui vont contribuer à renforcer les caractéristiques de la bastide, soulignant la forme urbaine, générant des effets silhouettes, des effets de façades ou proposant des situations de balcon. Bien sûr, c’est la bastide qui s’est adaptée au terrain mais de cet « arrangement » entre le modèle urbain médiéval et la topographie, ont pris corps des villages et des bourgs, chaque fois singuliers.

Les rebords de relief

L’implantation en rebord de pente tend à souligner la silhouette de la bastide et sa façade urbaine comme le ferait un socle pour une sculpture.
C’est le cas de Villefranche-de-Lonchat (Double et le Landais), qui épouse côté sud un rebord de relief. En venant du sud, on découvre la silhouette perchée tandis qu’au nord, la contrainte topographique s’amenuisant, la ville s’est émancipée du modèle régulier pour se développer sur la base d’un réseau de voies en étoile. Dans ces situations, la relation entre la bastide sur son relief et le versant en contrebas est extrêmement importante, c’est le contraste entre une figure bâtie ciselée et un versant agricole ou naturel, fondée sur une césure franche entre bâti et non bâti, d’où l’importance de veiller à la localisation des extensions urbaines.
Dans le Périgord Noir, Domme est un autre exemple de bastide en rebord de relief, mais la dénivellation entre le haut du versant et la vallée de la Dordogne est si grande, plus de 130m, que l’effet de silhouette en est affaibli. Par contre, la situation de balcon est presque vertigineuse, si ce n’est l’écran importun du couvert végétal qui limite les vues. D’un point de vue formel, le plan de Domme s’est développé sous forme d’un trapèze, occupant le promontoire naturel disponible.

Les hauts de colline
Beaumont un exemple de bastide en haut de colline.
Cadastre napoléonien et photographie aérienne 2018

Il y a des situations de collines au relief assez doux où la bastide est néanmoins contrainte par la pente des versants, adaptant son plan de composition aux terrains les plus plats. C’est le cas par exemple de la bastide de Beaumont, qui s’étire selon un axe nord/sud entre deux vallons. Cette situation favorise des perspectives urbaines spectaculaires, au regard de la taille des villages, du fait des rues très longues qui épousent le relief. Elle offre également des fenêtres latérales sur la campagne très proche, vues dégagées par l’inclinaison des versants. C’est une double perception, presque théâtrale, avec un côté « ville » et un côté « campagne », à 90° l’un de l’autre. Monpazier, encadrée par 2 vallons et dominant la vallée du Dropt, occupe une situation semblable, de même que Villefranche-de-Périgord, dans le Périgord Noir. Par contre, à Villefranche, l’encaissement de la vallée du Tourtillou et le boisement des versants limitent les vues.

Les bastides en vallée

Vergt, bastide à l’origine étirée dans la vallée, s’est progressivement développée en épaisseur, en franchissant la rivière et gagnant le pied de coteau moins pentu. Il est intéressant de noter que la trame géométrique s’est « remplie » postérieurement à 1829.
Cadastre napoléonien et photographie aérienne 2018. Source Archives départementales de la Dordogne.

En général, les bastides édifiées dans les vallées ont davantage évolué que les bastides perchées. L’absence de contraintes topographiques et la proximité de voies d’échanges a favorisé leur développement. De ce fait, il y a peu d’effet de silhouette et la forme urbaine ne s’appréhende pas dans le paysage lointain, il faut arpenter la bastide pour saisir la régularité de son tracé. Par ailleurs, le déplacement des flux routiers à l’extérieur du cœur d’origine brouille « les pistes », donnant à voir les faubourgs et les extensions : la traversée de la « ville médiévale » peut passer inaperçue, par exemple à Vergt (Périgord Central) ou à Eymet (Bergeracois). Pour autant ces ensembles urbains offrent dans leur cœur des exemples de belle densité bâtie, façonnant des paysages urbains de qualité.

Quand la bastide s’agrandit

Dès leur origine, les bastides sont des pôles de vie plus ou moins importants, qui vont évoluer selon les dynamiques économiques des territoires. Certaines cités sont restées pratiquement dans l’emprise de l’enceinte médiévale ; c’est le cas de Domme ou de Villefranche-de-Périgord par exemple où pour des raisons combinées, la contrainte du relief, la difficulté d’accès, l’éloignement progressif des flux de communication ont « figé » la forme urbaine. Par contre, les bastides implantées sur des sites moins contraints, comme Villefranche-de-Lonchat, plus proches des voies de communication, ou bien en vallée comme Lalinde ou Lisle ont dépassé leur première emprise. Ces extensions se font de manière plus ou moins harmonieuse selon les périodes. Si les premiers faubourgs occupaient généralement les terrains non bâtis inscrits dans la composition régulière, au fil du temps, les extensions plus récentes sortent de la logique orthogonale, qu’elles soient initiées par un nouveau tracé routier, ou pour des raisons de disponibilité foncière. Souvent, tout en s’éloignant du cœur de la bastide, les extensions renoncent aux notions de densité et de mitoyenneté, ce qui produit un urbanisme lâche avec des bâtiments sans hauteur, en fort contraste avec la silhouette urbaine dense avec maisons à étages.

Quand la bastide accueille les voitures

Malgré une origine médiévale, la trame viaire des bastides présente en général des largeurs suffisantes pour supporter la circulation et le stationnement des voitures. Pour autant, cette circulation peut être invasive et banalisante. Certaines bastides, à fort caractère patrimonial, comme Monpazier, soucieuses de préserver une qualité de cadre de vie ont mis en place des solutions de stationnement extérieur, accompagnées d’une réduction de l’emprise des chaussées intérieures. Si ces aménagements sont très valorisants, ils ne peuvent pas être envisagés pour toutes les bastides.



  Les sites défensifs, les villages défendus

La silhouette du château de Jumilhac domine la vallée de l’Isle

Des formes urbaines contenues

Les maisons blotties au pied du château : village de Hautefort
Les maisons bien rangées sous les remparts : village de Hautefort

Les sites défensifs, dont l’origine est médiévale, ont inscrit dans le paysage du département, un certain nombre de silhouettes bâties caractéristiques qui, comme les bastides participent à l’identité et contribuent à l’attractivité du territoire. Mais à l’inverse de la bastide qui déploie un plan régulier sans déroger à son tracé quelle que soit la topographie, les sites défensifs ont investi à l’origine de leur fondation, un lieu particulier qui présentait une protection naturelle ou des intérêts économiques. La forme urbaine est ainsi déduite de la topographie même du site, sur laquelle a été édifiée une enceinte fortifiée ou un château au pied duquel le village s’est développé. Nulle orthogonalité dans ces sites défensifs, au contraire une forme urbaine souvent compacte, « organique » qui a souvent perduré jusqu’à nos jours. Il ne s’agit pas d’opposer bastides et villages défensifs puisque les bastides disposaient d’enceintes de protection, mais de constater que ces deux modèles d’origine, l’un régulier, l’autre aléatoire, ont généré des paysages bâtis et des silhouettes très différents.

Dominant la vallée de la Dordogne, Castelnaud-la-Chapelle s’étend autour de rues sinueuses en dessous du château

Le bourg castral : une silhouette

L’imposante silhouette du château et de la chapelle de Biron, dont la base semble sertie par un rang de maisons villageoises
Village de Montferrand implanté dans le vallon en pied de rempart, sous le château

Un bourg castral est une petite cité qui s’est développée et maintenue autour d’un château. Les plus spectaculaires et les plus connus sont liés à l’importance du château, pièce maîtresse bâtie, mais également à la force du site et au caractère escarpé, pittoresque du relief sur lesquels ils sont implantés. C’est le cas, par exemple, dans le Périgord Noir, des villages emblématiques de Beynac-et-Cazenac et de Castelnaud qui dominent la vallée de la Dordogne ou de Biron qui semble régner sur des kilomètres à la ronde. Il existe d’autres bourgs castraux, moins célèbres, souvent parce que le relief est moins grandiose et quelquefois le système défensif plus modeste. C’est le cas des implantations dans des vallées secondaires, comme par exemple Bourdeilles dans la vallée de la Dronne, Grignols (Périgord Central) dans la vallée du Vern, ou Montferrand (Périgord Noir) dans la vallée de la Couze. La silhouette de ces bourgs et villages est dominée par la masse du château et du donjon, les maisons et les rues se distribuent autour de la plate-forme castrale, en s’adaptant au relief ou bien le long de la voie d’accès. Souvent l’enceinte a disparu, démantelée ou englobée dans les maisons au cours des siècles.

Les bourgs abbatiaux

Saint-Avit-Sénieur bourg abbatial
Cadastre napoléonien et photographie aérienne 2018
Double enceinte de Saint-Avit-Sénieur

On peut retrouver une configuration et un effet de silhouette semblables dans des villages dont l’origine est liée à des abbayes importantes qui englobaient à l’intérieur d’une enceinte, un habitat subordonné à l’établissement religieux ou à l’extérieur de l’enclos. Ici également, le volume des églises abbatiales domine le reste du bâti, comme par exemple à Saint-Avit-Senieur, dans le Périgord Noir. On retrouve la figure de l’enroulement autour du cœur du village.

L’enceinte comme une empreinte

L’enceinte circulaire d’Issigeac a conditionné le plan de la ville. La forme presque « parfaite » du cœur du village est surtout lisible en plan ou en photo aérienne, mais cette forme a généré à l’intérieur du paysage bâti, des singularités comme le tracé courbe des rues, des ilots en triangles, tous ces éléments particuliers qui en font le charme et le pittoresque.
Cadastre napoléonien et photographie aérienne 2018. Source Archives départementales de la Dordogne.

La forme ronde du bourg d’Issigeac [2] dans le Bergeracois, participe peu à la silhouette générale, ce sont les vues aériennes qui témoignent le mieux de l’origine de la forme urbaine. Mais, par contre, cette forme ronde a construit au fil du temps un paysage bâti singulier et remarquable. Certaines rues ont épousé cette forme, elles s’enroulent, créant des perspectives courtes, fermées par des façades. Les places et placettes ont aussi composé avec les courbes, se développant sur des espaces de forme irrégulière. Emprunter le tour de ville ressemble à un travelling sur le dernier rang de maisons. Si Issigeac est un bourg remarquable où l’empreinte de l’enceinte est forte et pittoresque dans son expression, il y a beaucoup d’autres exemples dans les villes et les villages d’un noyau ancien arrondi, oblong qui porte en mémoire le tracé des anciens remparts disparus et où l’on retrouve des ruelles courbes et ses fronts bâtis arrondis. C’est le cas par exemple des quartiers anciens de Bergerac.

Les places et placettes ont composé avec les courbes, se développant sur des espaces de forme irrégulière. Issigeac
La courbe de la rue raccourcit la perspective et permet de percevoir la volumétrie du bâti. Issigeac

Le bourg à l’extérieur du château

Depuis l’enceinte du château, vue vers le bourg d’Excideuil : on perçoit l’inflexion du relief qui séparait les deux entités protégées

Quand la forteresse a occupé un éperon réduit ou un relief trop contraignant, l’habitat que protégeait une seconde enceinte s’est implanté à côté, dans une forme géométrique indépendante de l’éperon, favorisant une nouvelle composition urbaine. Dans ces configurations, l’élévation du château est moins centrale, elle ne domine plus la ville, elle s’inscrit dans la silhouette générale. Le bourg d’Excideuil, aux confins du Périgord central et du Périgord Limousin, est un exemple où le château implanté sur un éperon barré dominant la Loue est à distance du bourg, et c’est un ensemble d’espaces publics articulés les uns aux autres qui assurent la liaison.

Sortir de l’enceinte, les extensions progressives

Les sites défensifs n’ont pas tous connu la même histoire, ni la même évolution. Pour les sites trop escarpés ou loin des voies de circulation, la forme s’est presque figée, les constructions se sont arrêtées, livrant aux regards aujourd’hui des « images d’Epinal ». Mais tous les sites n’ont pas eu ce sort, certains ont poursuivi leur développement, dépassant l’enceinte, traçant un réseau viaire plus adapté aux déplacements. L’enjeu de ces sites défensifs reste néanmoins de préserver leur caractère singulier : leurs silhouettes groupées, en veillant à la façon dont s’inscrivent les extensions, et leurs paysages intérieurs singuliers en préservant les densités et les tracés aléatoires.




  Des villages et des villes en vallée

Magnificence de l’Hôtel de ville se reflétant dans les eaux de la Vézère. Terrasson-Lavilledieu (Marges du bassin de Brive)

Dans ce département au relief de collines, les vallées ont offert des voies de communication facilitées qui elles-mêmes ont favorisé les implantations humaines. Selon l’importance de la rivière, sa navigabilité, son régime de crues et le profil de ses berges, les villes et les bourgs se sont établis tantôt en rive, tantôt à distance, s’éloignant de l’eau ou préférant une terrasse pour se mettre à l’abri des hautes eaux.

Les implantations en rive

La Dordogne, grande rivière longtemps naviguée, est jalonnée de villages et de villes qui se sont établies au bord de l’eau pour se développer autour de l’activité portuaire, et notamment l’exportation du vin. Bergerac en est un bel exemple avec son port reconstruit en 1838 à l’emplacement de l’ancien château fort ; aujourd’hui plus de bateaux, ni de tonneaux comme l’évoquent les cartes postales anciennes mais une vaste surface en pente douce, traitée avec un beau pavage de pierre. Bergerac a disposé d’un franchissement pour rejoindre le quartier de la Madeleine en rive gauche dès le Moyen-Age ce qui a renforcé son attractivité et a permis un développement ancien sur les deux rives. Par contre, ce sont plutôt des constructions du XIX ème siècle qui constituent le front bâti côté rivière, contemporain du nouveau port et de la reconstruction du pont.
Périgueux n’a pas le même rapport à l’Isle : la ville s’est établie dans une boucle de la rivière, et c’est plus récemment qu’elle a investi, au fil des ans et de la construction des ponts, de nouveaux quartiers en rive gauche.

Front bâti de Bergerac donnant sur la Dordogne avec l’ancien port
Bords de l’Isle à Périgueux : la rivière est discrète, cachée par la végétation des rives

Dans le Périgord Noir, la Vézère également a accueilli sur ses rives, des bourgs et des villages, comme le Bugue ou Montignac qui est établi sur des deux côtés de la rivière.

En terrasse au-dessus de la Vézère, le Bugue s’est mis à l’abri des crues tout en profitant d’une plage sur la berge opposée
La façade sur la rivière

Quand la berge est longée par une voie publique, cela favorise l’édification d’une façade urbaine continue qui se découvre et se contemple depuis la rive opposée ou depuis les ponts.
Un bel exemple dans le Périgord Noir, est la façade pittoresque du village de La Roque-Gageac en rive de Dordogne, peinte par Lucien de Maleville et maintenant illustrée par de nombreuses cartes postales rend compte de la relation fondamentale à la rivière. Le parcellaire est en lanières, perpendiculaire à la rive pour permettre le maximum d’accès à l’eau. Les maisons sont donc étroites et se présentent par leur pignon, elles semblent serrées les unes contre les autres. La masse de la falaise rocheuse qui les surplombe accentue la modestie de leurs proportions. Quand il n’y a pas de rue ou d’espace public en rive, généralement la parcelle se termine par un jardin qui donne sur la rivière. C’est le cas par exemple dans le Périgord Central, de Brantôme ceinturée par la Dronne qui tantôt offre des façades continues quand un quai est établi en bord de rivière, tantôt le bâti disparaît derrière les arbres.

La Roque-Gageac aligne ses maisons étroites, avec pignon sur rue, entre falaise et rivière
Les anciens jardins en rive de la Dronne sont désormais occupés par des terrasses. Brantôme-en-Périgord
Des éléments patrimoniaux

L’activité de navigation a nécessité la construction d’équipements, des quais, des ports, des rampes de mise à l’eau qui, bâtis pour résister à la force hydraulique, ont souvent résisté au temps. Ces éléments d’architecture de belle facture contribuent au caractère des lieux, en plus de l’épaisseur historique dont ils témoignent, ils permettent un contact plus direct et frontal avec la rivière que lorsque les berges sont naturelles et arborées.
S’ils ont perdu leur usage d’origine, ils gardent un rôle de transition et de valorisation du bâti qui les bordent ; mais ils ne sont pas toujours mis en valeur, absorbant par exemple une partie des stationnements comme c’est le cas à Lalinde, dans le Périgord Noir, les jours de marché.
De même les ouvrages hydrauliques, anciens biefs de moulin, chaussées, ou encore les ponts sont autant d’éléments patrimoniaux qui qualifient ces villages du bord de l’eau.

Quais, rampes, calades, bornes, autant d’éléments patrimoniaux, témoignages de la navigation fluviale. Bergerac
Pont et ancienne chaussée du moulin sur l’Auvézère à Cubjac
Ancien pont avec sa calade de galets à St-Jean-de-Côle

Les implantations sur terrasse

D’autres villes ou villages se sont implantés sur des terrasses bien à l’abri des inondations et dominent la vallée. Il n’y a pas de relation directe avec la rivière. Dans la vallée de l’Isle c’est le cas de Mussidan et de Montpon-Menestrol, deux villes en rive gauche qui n’offrent pas le même paysage urbain. Dans les deux situations, la ville s’est établie au niveau d’un affluent. A Mussidan, la forme urbaine doit davantage à la Crempse, qui a séparé mais maintenant articule deux quartiers, le centre ancien en demi-cercle au-dessus de l’Isle et les quartiers à l’ouest. Autour de la Crempse, divisée en deux bras, se sont agrégés des équipements et des espaces publics, la présence de la petite rivière contribue au caractère des lieux. A Montpon-Ménéstrol, l’affluent plus modeste se faufile au milieu du bâti sans bien se remarquer mais la ville a renoué avec l’Isle, par la construction d’une passerelle qui conduit à la base de loisirs aménagée en rive droite de la rivière sur la berge basse, plus de 10 m de dénivellation séparant les 2 rives. Malgré le recul, la ville ne présente pas réellement une façade sur la rivière parce que la dynamique végétale créée des masques importants.
Dans ces situations de terrasse, la ville présente souvent une forme urbaine asymétrique. Tenue côté rivière par le tracé de la berge, elle tend à s’étaler en amont, en fonction de la localisation du franchissement et des routes qui s’y greffent. C’est ainsi que St-Astier dans la vallée de l’Isle également, contraint par le rebord de terrasse s’est développé à l’ouest le long de ses routes.

La traversée du cœur de ville par la Crempse a nécessité de nombreuses passerelles privatives. Mussidan
Un ensemble d’espaces et d’équipements publics accompagne la traversée du cœur de ville par la Crempse. Mussidan
La passerelle qui relie la ville à la base de loisirs en rive droite de la Dordogne. Montpon-Ménestrol
Mussidan est implanté sur une confluence et son paysage tient davantage à la Crempse, qu’à l’Isle. La ville est organisée en deux pôles bâtis anciens, répartis de part et d’autre de la Crempse. Au fil du temps, la ville a investi la vallée entre ces deux pôles et y a installé des espaces et des équipements publics. La prochaine évolution pourrait être de renaturer la vallée et de repousser les voitures.
Cadastre napoléonien et photographie aérienne 2018. Source Archives départementales de la Dordogne.

Les implantations « à côté »

A Issigeac, la rivière borde le bourg mais passe inaperçue si ce n‘est au moment du franchissement de la Banège

A proximité des rivières plus petites, se rencontrent également des bourgs qui semblent s’installer à côté, la forme urbaine n’est pas déduite de la relation à la rivière mais un quartier ou une rue sert d’accroche avec la rivière. C’est le cas par exemple, dans le Bergeracois, pour la bastide d’Eymet dont le plan régulier s’est calé contre la rive du Dropt, ou bien le bourg d’Issigeac longé au nord par la Banège. Un espace public planté s’agrège au tour de ville assurant le lien avec la rivière.





Rivière aimée ou mal aimée

Aménagement d’une liaison douce en bord de rivière, en pied de parapet, à Montignac

La relation aux rivières a changé ces 20 dernières années sous deux angles presque contradictoires, d’une part la politique de sécurité et la gestion des risques et d’autre part le besoin de nature et l’attention aux trames vertes et bleues.
La prise en compte des risques au travers des PPRI limite la constructibilité dans les zones inondables mais également peut entraver la valorisation de bâti ancien situé dans ces mêmes zones. Parallèlement à ces préoccupations, les bords de rivières quelquefois délaissés sont aménagés en promenade publique. C’est le cas par exemple des aménagements le long de l’Isle entre Périgueux et Boulazac.



La rivière comme un arrière

Le Bandiat passe inaperçu à la Fayolle, bien qu’il borde le village au sud. Javerhlac-et-la-Chapelle-St-Robert

Les petits cours d’eau ont aussi servi d’exutoire par le passé. Dans ces contextes, ils ne sont pas ou peu visibles dans la traversée des villages et des bourgs souvent relégués aux arrières de parcelles ou de jardins.













  Les villages qui s’étirent ou se déplacent

Vue de l’imposante façade du village avec l’ensemble défensif en partie haute et le quartier bas en rive. Beynac vue depuis Férac

De nombreux villages ou bourgs, au fil de l’histoire se sont étirés, voire « déplacés », ils ont développé une nouvelle polarité. Plusieurs facteurs ont pu motiver cette évolution : un site d’implantation trop contraint qui ne permettait pas l’extension du village en continuité avec le noyau d’origine, la création de voies de communication, et cela dès le 18 ème siècle, ou bien encore l’arrivée du train, la construction d’un nouveau pont et plus récemment encore le passage de l’autoroute.
Dans la plupart des cas, les nouvelles infrastructures modifient la forme urbaine, notamment parce qu’elles induisent une nouvelle manière d’arrivée, d’entrer dans le village ou la ville. Elles donnent naissance à un nouveau quartier, le quartier de la gare par exemple. Il arrive que le noyau bâti d’origine se fige ou pire, se vide tandis que les extensions privilégient la nouvelle « entrée », c’est-à-dire la proximité de la gare ou de la voie nouvelle. Ces infrastructures qui améliorent la desserte ont quelquefois comme corollaire de marquer une coupure, voir une frontière, c’est le cas des voies ferrées, mais également des voies rapides.

Prendre ses aises

Les maisons et ateliers échappés du bourg de Nontron pour profiter de l’énergie du Bandiat.

A la faveur des périodes de paix, certains villages fortifiés ont quitté leur escarpements pour se développer plus à l’aise et, par la même occasion, tirer parti des voies de communication les plus proches. C’est le cas par exemple de Beynac dans le Périgord Noir pour lequel on repère en quelque sorte trois quartiers, le castrum, puis le village en contrebas dans le vallon et enfin le quartier en rive de Dordogne. Le mode de développement est assez semblable à Domme, toujours dans le Périgord noir : la bastide juchée haut sur le promontoire calcaire, le quartier du port en rive et le faubourg dans le vallon latéral, itinéraire de transit qui concentre les commerces et les services.

Sous l’impulsion d’une dynamique économique, certains villages ou bourgs ont recherché pour se développer un site plus favorable que le lieu d’implantation originel. C’est le cas par exemple de Nontron, au confins du Périgord Central et du Périgord Limousin, qui a quitté son site défensif d’origine pour investir le vallon puis la colline à l’ouest.

L’arrivée du train

Soumise à des pentes maximales admissibles et nécessitant un foncier libre, la voie ferrée passait « à distance » des centres bourgs et des villages, ce qui a conduit à l’édification de gares en lisière des secteurs bâtis, quelquefois séparées du village d’origine par une déclivité. Au fil du temps, selon les communes, ces gares ont donné lieu à de nouveaux quartiers, ou au contraire sont restées isolées.

A Belvès, dans le Périgord Noir, l’implantation contrainte de la voie à flanc de versant, en “tranchée” n’a permis aucun développement autour de la gare.

Ainsi, en suivant la ligne de train Agen-Périgueux dont le tracé est jalonné par plusieurs gares, on constate différentes figures d’évolution. La gare de Belvès, dans le Périgord Noir, édifiée en tranchée à mi-versant n’a donné lieu à aucune extension. Un peu plus loin, la voie dessert Siorac-en-Périgord. La gare est assez proche du village mais la voie ferrée sectionne les routes historiques ce qui a modifié l’itinéraire d’entrée.

Le Bugue illustre à la fois l’étirement de la forme urbaine en direction de la gare, mais aussi le développement d’un quartier après la construction du pont qui donne un accès rapide et facile au méandre.
Cadastre napoléonien et photographie aérienne 2018. Source Archives départementales de la Dordogne.

Le Buisson-de-Cadouin, dans le Périgord Noir, illustre une autre configuration. Le réseau des voies (infrastructure de triage) imprime une profonde et large césure sur le terrain mais il a favorisé un développement important de ce qui était au départ un modeste village. A une autre échelle de regard, il est amusant de noter que si le passage du train a impacté chaque bourg d’une manière particulière, par contre le bâti est le même dans chaque gare, seul son état d’entretien et de conservation varie.
Dans les villes plus importantes, la gare n’a pas créé une nouvelle polarité mais elle a « déformé » la composition urbaine préexistante vers ce nouveau quartier.

Les routes : les nouvelles façades du paysage bâti

Après le train, ce sont les routes qui ont influencé les formes urbaines. La nuisance que provoquaient les véhicules en transit, notamment les poids-lourds a motivé la construction de déviations. Considérées comme une nouvelle opportunité de desserte et de visibilité, ces déviations ont entrainé le développement de zones d’activités, artisanales, commerciales, voire de services, quelquefois même de quartiers résidentiels. La forme urbaine a perdu de l’épaisseur pour laisser place à un urbanisme de façades, voire d’objets et d’aires de stationnement. Souvent, ces pôles nouveaux, occupent des emprises foncières plus importantes que les pôles d’origine.
L’exemple de la commune de Vélines, au nord-ouest du Bergeracois, témoigne bien de ces différentes étapes d’évolution. Le bourg d’origine s’est implanté sur une hauteur en rive droite de la Dordogne, sur un léger replat qui domine la vallée d’environ 50m. En pied de relief, à une bonne distance de la rivière, passait déjà au 18 ème siècle, une voie structurante reliant localement Sainte-Foy à Libourne (cf carte de Cassini) qui avait conditionné l’implantation d’un écart, Riaux (les Réaux). Au 19 ème, la voie ferrée est construite, parallèle à la route, avec une gare côté village qui entraîne le confortement du quartier. Puis l’évolution des modes de vie qui réduit les déplacements à une valeur temps, favorise le développement d’une nouvelle polarité au niveau de la route, aujourd’hui la RD 936, avec l’implantation de commerces et de services.

Le centre du village avec ses attributs : densité bâtie, trottoirs, place publique. Vélines (Bergeracois)
Développement du quartier en bord de RD, nouveau pôle de services. Vélines (Bergeracois)

Si l’exemple de Vélines s’illustre par la constitution d’un pôle structuré autour d’un bâti ancien et de structures végétales matures, souvent le bord de route est l’occasion d’un développement linéaire banalisant qui ne dit plus rien de l’architecture locale ni de ses matériaux, et qui, en plus, limite beaucoup les perceptions sur le paysage traversé.

L’autoroute : une césure

L’autoroute impacte différemment le développement des ensembles urbains, elle s’impose comme une césure franche, obligatoire qui sectionne le territoire aussi clairement que les deux rives d’un fleuve. Son tracé finement étudié ne coupe ni villes, ni bourgs mais il peut modifier les déplacements et sectionner des liens existants entre des villages et des quartiers, tout comme le faisait la voie ferrée mais sur des emprises bien plus larges qu’une voie de chemin de fer. Pour autant, l’impact le plus important de l’autoroute réside dans la fabrication de nouveaux pôles économiques à proximité des échangeurs, dont la composition urbaine et l’architecture n’ont rien de commun avec les centres villes, ni même avec le territoire. Elle entraîne dans son sillage un modèle d’urbanisme économique et commercial indépendant du territoire traversé. Même dans le projet paysager d’accompagnement végétal de l’infrastructure et du nouveau quartier, il est fait peu de cas de la cohérence et de la lisibilité paysagère du site et de la notion d’entrée.

Entrée sud de Saint-Laurent-Manoire (Périgord Central) en 1960
Route et voie ferrée se rapprochent. La route est bordée par des alignements, le paysage de fond de vallée est agricole.
Entrée sud de Saint-Laurent-Manoire (Périgord Central) en 1990
Les alignements ont disparu, les premiers bâtiments voient le jour.
Entrée sud de Saint-Laurent-Manoire (Périgord Central) en 2019
L’autoroute coupe la vallée, les boisements descendent, les bâtiments se développent en linéaire le long des voies : colmatage des vues, plus de compréhension du site, plus d’effet d’entrée.

L’équilibre des polarités

Selon les dynamiques territoriales, la constitution d’un nouveau pôle peut affaiblir ou non le centre du bourg. Dans un territoire rural où l’usage de la voiture comme moyen de déplacement est prépondérant, la facilité de stationnement conduit à privilégier l’installation de commerces et des services à proximité des nouvelles voies ce qui met en difficulté, voir en péril les cœurs de villages et les centres bourgs. La question de l’équilibre de vie et de services entre nouveau et ancien pôle doit se poser au stade de l’élaboration des documents d’urbanisme et des projets de territoire. Cet équilibre des polarités est également un sujet d’actualité dans le cas des six communes nouvelles du département : rassembler les services ou au contraire les répartir ?








  Les villes et villages en haut de relief

Le village de Lusignac, comme un balcon devant le paysage, en bordure de versant

Excepté les vallées, les unités paysagères sont caractérisées par des ensembles de collines et de plateaux sur lesquelles se sont implantées villages et bourgs. Les configurations sont variables, selon la forme même des reliefs et, de ce fait, les effets dans le paysage sont plus ou moins sensibles ou spectaculaires. Si à l’origine cette implantation en hauteur permettait d’amples vues alentour, la situation a souvent évolué.

La forme du relief

La forme du relief conditionne le développement de l’ensemble bâti. Par exemple La Coquille dans le Périgord Limousin s’étire sur une bande étroite entre le vallon de la Valouse et celui du ruisseau de la Pouayde et poursuit un développement linéaire le long de la route, tandis que de l’autre côté de la vallée, le village de Saint-Priest-les-Fougères qui occupe le haut d’une colline douce s’est développé en étoile à partir de son centre avec moins de contraintes topographiques. C’est le cas également de Beauregard-de-Terrasson dans le Périgord Noir dont le nom évoque déjà la situation de balcon. Implanté sur un haut de relief peu contraignant, d’une forme primitive en étoile, il s’est développé le long des routes, à la faveur des replats. Bertric-Burée, dans le Ribéracois, illustre un autre cas de figure où le village vient s’implanter juste au-dessus de la tête d’un vallon. En général, cette situation topographique contient le développement du côté des fortes pentes et repousse le développement à distance, de l’autre côté de la tête de vallon comme à Bertric-Burée où un nouveau quartier se développe à côté de l’école. C’est un peu la même figure à Lusignac, dans le Ribéracois, qui semble pincé entre deux têtes de vallons et offre l’image d’un bourg dense, groupé en triangle.

Thiviers, implanté sur le haut du relief s’épanche doucement sur les versants
Lusignac est un village perché de taille modeste mais il est intéressant de noter combien l’implantation du bâti en tête de vallon théâtralise la silhouette du village avec son château. Dans ce type de configuration, le maintien des parcelles agricoles est déterminant pour la qualité des paysages.
Cadastre napoléonien et photographie aérienne 2018. Source Archives départementales de la Dordogne.

Les villages perchés

Dans cette famille de villes et villages implantés sur les hauteurs, se distinguent les silhouettes des villages perchés qui s’imposent dans le paysage. Leur situation particulière est façonnée par le caractère isolé du relief : une corniche au-dessus de la vallée, un éperon, une colline plus haute que les voisines. Souvent ces situations avaient été choisies pour leur caractère naturellement défensif, c’est pourquoi nous retrouvons des villages défensifs. Jumilhac-le-Grand, dans le Périgord Limousin, à côté de son imposant château s’est implanté sur le rebord concave du plateau, incurvé par un méandre étroit, et se dresse au-dessus de la vallée de l’Isle. Belvès qui occupe un éperon calcaire souligné par deux vallons latéraux, impose sa silhouette dans la vallée de la Nauze. C’est ainsi que le décrivait Julien Gracq : « A un détour du chemin solitaire, le rideau pentu des arbres du versant le plus raide s’ouvrit une seconde, et une corbeille de maisons perchées parut s’enlever et s’épanouir dans l’air bleu au-dessus des branches : petit bouquet urbain serré et aérien brandi par-dessus les arbres (...) Belvès est le nom de cette beauté cloîtrée de la forêt du Périgord Noir et elle mériterait que tout belvédère tirât d’elle son nom. »  [3]. La découverte aujourd’hui semble moins saisissante, est-ce la sensibilité de l’écrivain qui nous fait défaut ou bien la banalisation des abords par des extensions récentes qui modère l’enthousiasme. Biron, dans le Périgord Noir, est un autre village perché qui occupe le haut d’une colline et dont la silhouette se repère des kilomètres à la ronde.

Vue depuis le nord, la silhouette de Belvès en rebord de relief dominant un vallon latéral à la Nauze
La silhouette du village de Lacropte dominée par le clocher

En plus de leur caractère pittoresque, ces silhouettes villageoises qui s’inscrivent dans le lointain, jouent aussi un rôle de repère géographique dans le paysage périgourdin, fortement cloisonné par les boisements.

Les jeux d’échelle

Il existe des villages perchés qui ne sont pas sur des reliefs très prononcés mais que la disposition topographique met en valeur et, à l’inverse des villages très haut perchés qui ne se voient pas ou peu de loin.

La silhouette de Domme reste modeste au regard de l’imposante falaise calcaire

Saint-Paul-de-Lizon, dans le Ribéracois, domine la vallée de la Cendronne d’environ 30 m et dresse sa silhouette sur le bord de la pente. A l’opposé, dans le Périgord Noir, 140 m séparent la rive de la Dordogne du rebord du plateau où la bastide de Domme est édifiée. Si les vues depuis Domme sont spectaculaires, l’effet de la silhouette bâtie est faible tant le socle géologique est élevé. Même dans des dispositions modestes, il est important de prendre en compte ces effets de la topographie qui mettent en valeur, par des différences de niveaux, des silhouettes de village et de préserver la qualité des vues.

L’importance du socle

Belvès 1950
La ville domine des terrasses de jardins et de vignes, dont les murs soulignent la pente.
Belvès 2017
En soixante ans, l’enfrichement des terrasses a considérablement amoindri le caractère spectaculaire de la ville et de son site.

Dans toutes les villes et les villages construits sur des points hauts, l’occupation du sol en contrebas de la forme urbaine est très déterminante en termes de paysage. C’est ce que nous appelons le socle, qui peut être un aplomb rocheux, un versant boisé, une prairie sur pente, ou des extensions bâties. Cette partie « basse » est souvent perçue en même temps que la partie bâtie, elle conditionne la perception d’ensemble, elle fait partie de l’identité, d’où l’importance de prendre en compte ce socle. Par exemple, il arrive que la déprise agricole ait favorisé un enfrichement des pentes et le village autrefois bien visible, se devine désormais derrière des arbres. A Belvès, l’abandon des terrasses, dont les soutènements accompagnaient la pente, a progressivement laissé place à des arbres qui ont absorbé visuellement la différence de niveau, affaiblissant le caractère spectaculaire du village perché. Si une évolution du socle par de la végétation reste réversible, la construction de maisons recherchant la vue ou la bonne exposition modifie durablement la perception de l’ensemble bâti, brouillant parfois la forme urbaine ou banalisant la silhouette.

Les vis-à-vis

Dans ces situations perchées où souvent le regard porte loin, le vis- à-vis prend de l’importance. Rejoindre un point haut, habiter un point haut laisse imaginer une belle situation de paysage, or quelquefois le vis à vis est décevant. Le versant en face ou le fond de la vallée ont accueilli toutes les extensions dont le site contraint compliquait les implantations et arrivé en haut, on découvre les vues sur les quartiers de maisons, la zone commerciale ou artisanale. Sans doute ces extensions sont nécessaires mais elles sont rarement étudiées pour leur implication dans le paysage perçu d’en face.

Les espaces publics

Liaison piétonne escarpée et improbable entre les deux vallées de Nontron

L’occupation par les villages de lieux contraints par la topographie entraîne en général des formes organiques qui se lisent jusque dans la géométrie des espaces publics, qui eux-mêmes semblent épouser le relief. Cela donne lieu à des rues courbes, des placettes en triangle, autant de déclinaisons qui contribuent au caractère des lieux, sauf bien sûr dans le cas des bastides perchées qui ne dérogent pas au tracé régulier. Ces espaces publics ne donnent pas toujours à profiter de la vue qui parfois reste réservée aux particuliers, habitants des maisons sur le tour de ville.








  Les villages agricoles groupés

Le Bourg vieux, commune de St-Martin-de-Fressengeas, isolé au milieu de sa clairière agricole

Dans ce département très boisé, les villages agricoles groupés sont souvent implantés dans des clairières, mais on en rencontre également dans des unités paysagères peu ou moins boisées, qui sont entourés de vignes ou autres cultures. La forme dense du village groupé était motivée par le souci de préserver au mieux la terre agricole. Ce sont des villages que l’on découvre « par surprise », qui se voient peu de loin et règnent sur un paysage contenu. Pour le nord du département, la typologie est bien documentée (se reporter au Cahier d’identité patrimoniale et paysagère du PNR du Périgord Limousin, édité en 2007).

La silhouette du bourg associant bâti ancien et quartier d’extension, village de St-Pierre-de-Frugie

Ces villages témoignent la plupart du temps d’un système agraire ancien, lié à la nature du sol qui conditionnait l’activité agricole, sa répartition et son organisation. Ils se caractérisent par des ensembles agglomérés, voire compacts, plus ou moins grands ou typiques. Sont regroupées, des fermes ou des maisons qui, au sein d’une clairière, gèrent les pâturages ou les terres alentour. A l’origine certains ensembles correspondaient à des villages de métayers, qui dépendaient d’un château, intervenant sur un vaste domaine agricole.
Ce cahier du PNR comprend une analyse fine conduite sur plusieurs villages, dont le village de la Ribière, sur socle granitique, sur la commune de Busserolles et celui de Bernadières, sur socle calcaire, sur la commune de Champeaux et Lachapelle Pommiers.
Si cette famille de villages est caractéristique du Périgord Limousin, elle est présente dans d’autres secteurs du département même si l’origine de la forme ne relève pas de la même histoire.

La silhouette dominée par le clocher de l’église, St-Méard-de-Gurson

Les clairières habitées

Qu’il s’agisse de gros hameaux ou de villages, ces ensembles en clairières restent assez confidentiels. Bien que souvent situés sur des points hauts, ils sont masqués par les bois, ne se découvrant qu’à l’entrée dans les clairières. Ils présentent leurs silhouettes adossées sur fond de boisements. La notion même de clairière reste souvent très perceptible parce que le village semble « s’arrêter » au contact des prés ou des terres. Il n’y a pas ou peu de transition entre le bâti et l’agricole, ou bien quelques jardins ouverts ou des rangs de fruitiers. Par contre, leur implantation dans un milieu ouvert facilite les extensions, dont le développement varie selon l’occupation agricole des parcelles, l’exposition des terrains et la demande. Certains bourgs ou villages se sont donc agrandis, accueillant de nouvelles résidences sans toutefois conserver la densité d’origine, comme à Saint-Priest-les Fougères.

Le village semble posé dans les prés, commune de Genis
Desservi par un réseau de voies en étoile, le bourg poursuit un développement. St-Priest-les-Fougères
St-Priest-les-Fougères est un exemple de village implanté dans une clairière agricole. Le village présente une structure lâche, organisée sur un réseau de voies en étoile et d’un groupement de corps de fermes autour duquel se sont agrégées d’autres bâtiments. Si au départ les corps de ferme restaient plutôt groupés pour préserver la terre agricole, les extensions récentes semblent « gagner » les champs et la clairière se fragmente.
Cadastre napoléonien et photographie aérienne 2018. Source Archives départementales de la Dordogne.

Une forte densité bâtie

Ces ensembles se caractérisent par une forte densité bâtie. A l’origine constituée de maisons, de granges et d’annexes, l’implantation des bâtiments dont certains étaient affranchis des contraintes d’éclairement et d’accès, puisqu’il ne s’agissait pas d’habitation, a donné lieu à des compositions très denses.
Cette organisation qui prend une forme organique ou aléatoire contribue au caractère des villages.

La traversée du hameau de la Ribière, commune de Busserolles
Le village groupé, dans les prairies de la vallée de la Dronne, commune de Creyssac

Une nécessaire mutation des bâtiments

Vitrage de la porte et menuiseries métalliques modernes permettent de conserver les ouvertures traditionnelles tout en augmentant le confort de vie (lumière, isolation), hameau de la Ribière, commune de Busserolles.

L’évolution des pratiques agricoles, ajoutée à celle des modes de vie, a privé certains bâtiments de leurs usages d’origine pour quelquefois, retrouver un usage d’habitation. Cette évolution, quand elle est faite avec soin, valorise l’architecture traditionnelle et redonne vie au village. C’est le cas par exemple à la Ribière où une intervention contemporaine a permis de retrouver une habitabilité au bâtiment d’origine tout en respectant l’esprit des lieux.

Une modestie à préserver

Cette famille de villages ou de bourgs est moins « spectaculaire » que les villages à fort caractère historique, à silhouette épique, ou comme les bastides à plan normé. Pour autant ce sont autant de motifs bâtis qui jalonnent le territoire, rappelant la vie présente des habitants, et apportant une tonalité, une silhouette, une diversité dans des paysages quelquefois répétitifs, voir monotones.

[1Source Atlas de la Dordogne-Périgord, Ranoux 1996

[2Le village d’Issigeac, d’origine mérovingienne (VI° siècle) est construit sur d’importants thermes gallo-romains. Le site présente de nombreuses caractéristiques (géographiques, toponymiques…) permettant de penser que sa forme ronde est héritée du camp romain de Publius Crassus, légat de César ayant pour mission de pacifier l’Aquitaine vers 56 avant J.-C. source www.issigeac.fr/histoire

[3Carnets du grand chemin, Julien Gracq, 1992

Voir aussi