Evolution des paysages de la ville de Bergerac

Rédaction et illustration CAUE 24

  La vigne, un élément constant dans le paysage bergeracois

La vigne est présente dans le Bergeracois depuis plusieurs siècles car dès le XIIIe siècle, les paysages autour de Bergerac sont marqués par cette culture. Le territoire de la vinée est délimité au XIVe siècle. Bien que chaque paysan ait son petit lopin de terre pour y faire pousser fruits et légumes consommés par la famille et que la vigne y ait elle aussi sa place, ce sont les parcelles appartenant au bourgeois des environs de Bergerac qui bénéficient du privilège d’être dans la vinée. Des parcelles entières sont alors consacrées à ces précieux ceps en raison d’une exportation florissante vers l’Angleterre puis plus tard vers les Pays-Bas et la Belgique. Rentrer dans le zonage de la vinée garantissait une prospérité économique, car seuls les propriétaires de la vinée pouvaient vendre et exporter leurs tonneaux. En 1511, un arrêté du Parlement de Bordeaux ordonna le transport par mer au vin de Bergerac issu uniquement de la vinée. Ainsi, autour les villes et les villages hors secteurs de la vinée de Bergerac, étaient totalement exclus de cette exportation.
La culture y était réglementée. La date des vendanges était définie précisément, et il était interdit de récolter ses grappes de raisin avant la date stipulée au risque de perdre sa récolte et de se voir attribuer une amende.

Vignes, cultures et potagers composent le paysage autour de la ville de Bergerac. Source : Archives départementale de la Dordogne
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Carte de Belleyme XVIII ème siècle. Un paysage ouvert composé de vignes (en pourpre) et de cultures. Source : Archives départementale de la Dordogne

La carte de la ville du XVIIe siècle montre ce paysage composé de vignes sur les coteaux au Nord et au Sud de Bergerac. Sur le reste des parcelles, des cultures poussent, profitant ainsi d’un sol frais et riche. Au XVIIIe siècle, le paysage du Bergeracois est très ouvert, peu boisé. Les chemins et voies royales convergent vers la ville et son quai où toute la vie économique du territoire se concentre.

Le territoire a donc organisé son paysage pour répondre à la forte demande en vin. Deux facteurs expliquent la raison de l’essor de la viticulture en Bergeracois.
Le premier est la spécificité du sol et du climat de Bergerac et de ses environs. En effet, sur les coteaux du Bergeracois le sous-sol est composé de calcaires lacustres recouverts d’argiles et de molasses issus du tertiaire. Lorsque la profondeur est suffisante, les sols sont riches en matière organique et fixent rapidement les différents amendements apportés au sol par les cultivateurs. La présence du calcaire en sous-sol a aussi la particularité de réguler les températures du sol et évite ainsi les grands écarts de température. En effet, le calcaire stocke la chaleur de la journée pour la restituer le soir et éviter les températures fraiches du soir. L’humidité est un facteur également important ; le sous-sol calcaire permet de drainer les terres rapidement pour éviter un engorgement des sols et restitue une fraicheur par capillarité en cas de sécheresse. La présence proche de la Dordogne crée également une humidité atmosphérique propice à la vigne et au développement de la pourriture noble sur les grappes. La spécificité du lieu et de ses propriétés édaphiques et climatiques expliquent la particularité du vin dans le secteur de Bergerac.

Déchargement et chargement des gabarres en tonneaux. On remarque des berges sans arbres, pour permettre le halage des bateaux pour remonter le cours de la rivière. Source : CAUE 24

Le deuxième facteur déclencheur de la prospérité de la vigne en Bergeracois est sa proximité avec la Dordogne. La rivière était un véritable axe de communication avec Bordeaux et une connexion avec l’océan Atlantique et ses commerces internationaux. Depuis Bergerac, la Dordogne, bien que tumultueuse était navigable une bonne partie de l’année et permettait ainsi de transporter pendant une plus grande période les tonneaux ; contrairement aux villages en amont qui dépendaient fortement du faible laps de temps navigable pour exporter leur production. Pour exemple, de Bergerac à Libourne, la Dordogne était navigable 150 jours dans l’année, alors qu’en haute Dordogne, elle ne l’était que durant un mois en moyenne.
La vinée de Bergerac donnait des privilèges aux propriétaires en garantissant l’exportation de ses tonneaux, marqués appartenant à la vinée, vers les marchés florissants de la Hollande ou d’Angleterre. D’une part, il y avait un contrôle de l’entrée des vins dans la ville et les habitants de la ville de Bergerac pouvaient uniquement acheter et consommer les vins issus de la vinée. D’autre part, Bergerac avait un droit de descente de ses vins par la rivière et échappait ainsi à l’emprise des privilèges des vins Bordelais. Cette combinaison de privilèges a permis à la ville de prospérer pendant plusieurs siècles et ceux jusqu’à l’édit d’avril 1776 qui établit la libre circulation des vins dans le royaume.

Environ, 100 ans plus tard, une nouvelle crise économique s’abat sur les vignobles bergeracois : la crise du phylloxéra atteignit les pieds du Bergeracois. Le paysage est modifié. Les parcelles de vignes ne sont plus que des friches jalonnées de ceps de vignes morts.

Les pépinières Perdoux ont greffé des pieds de vignes résistants au puceron et ont permis la reconstitution d’un paysage viticole en Bergeracois. Source CAUE24 et SHAP

Contrairement à d’autres secteurs de la Dordogne, qui se sont tournés vers d’autres cultures après la crise du phylloxéra, Bergerac et ses environs ont replanté les vignobles avec des variétés résistantes aux parasites. Et ceci grâce à un pépiniériste Bergeracois, Monsieur Perdoux, qui greffa des plants américains avec des boutures de plants français. La qualité des vins fut ainsi retrouvée et les parcelles furent replantées massivement.
La qualité du sol, de son climat et la reconnaissance internationale de la qualité du vin produit a permis la résurrection de la culture.

  Une ville majeure du département

Le vin et la présence de la Dordogne comme axe majeur de transport, ont permis à la ville de Bergerac d’être une des villes majeures de la Dordogne, voire la plus importante pendant plusieurs siècles. La ville possédait un grand quai permettant de décharger les nombreuses denrées venues des villages en aval de la Dordogne mais aussi de l’étranger, vendues ensuite en partie au marché. Plusieurs places ponctuaient le tissu urbain dense pour accueillir les marchés. En plus de ses échanges fluviaux, Bergerac est la seule ville sur le cours de la Dordogne, à avoir un pont traversant la rivière et cela jusqu’au XIXe siècle. Ainsi les échanges terrestres entre les deux rives ne pouvaient se faire que par Bergerac ! Ailleurs, seuls des bacs permettaient de lier les deux berges.
Au XIIe siècle, le second mariage d’Aliénor d’Aquitaine avec Henri II Plantagenêt, futur roi d’Angleterre provoqua le passage du Périgord en suzeraineté anglo-angevine. Mais durant le même siècle, après la mort de Richard Cœur de Lion, le roi Philippe Auguste confisqua une grande partie du duché à Jean Sans Terre, fils d’Aliénor et d’Henri II. Durant plusieurs siècles, le Périgord fut disputé par la couronne de France et le royaume d’Angleterre. La domination anglaise sur la partie du Périgord Bergeracois modifie les idéologies religieuses et les habitants tendent au fil des siècles vers le Protestantisme qui s’ancre ensuite au XVIe siècle. La ville s’oppose donc à Périgueux, ville catholique et incluse dans le royaume français. Bergerac devient donc la capitale protestante du Périgord comme en témoigne la construction de plusieurs temples protestants au XVIe siècle.
En 1806, on compte 8 665 habitants à Bergerac contre 6 306 à Périgueux. Une population plus nombreuse qui témoigne de l’importance de Bergerac à l’échelle départementale.

  Une ville peu à peu délaissée

Peu à peu, Bergerac passe dans l’ombre. La révocation de l’Edit de Nantes en 1685, provoque des affrontements et des destructions d’édifices religieux, notamment ceux des temples protestants de la ville. La capitale du protestantisme en Périgord se délite. L’édit du mois d’avril 1776, établissant la libre circulation des vins dans le royaume, marque le déclin progressif de l’économie de Bergerac essentiellement basée sur la viticulture.

La ville de Bergerac passe dans l’ombre de Périgueux où toutes les routes et voies de chemins de fer convergent. Bergerac est à l’écart des circuits commerciaux modernes.
Source : Genty Michel. Le désenclavement routier et ferroviaire des villes du Périgord et du Bas-Pays limousin au XIXe siècle. In : Annales du Midi : revue archéologique, historique et philologique de la France méridionale, Tome 93, N°153, 1981. pp. 279-291.

En 1790, le département de la Dordogne est défini et Périgueux en devient la capitale. Les grands équipements, comme la préfecture, sont ainsi rattachés à cette ville mais aussi tous les travaux d’axe de communication (routes mais aussi et voie ferrée) convergent vers la nouvelle capitale du Périgord. Les tracés des grandes liaisons nationales de chemin de fer se définissent en fonction de Périgueux. La ligne Bordeaux-Limoges, axe transversale dans le département, atteindra Périgueux en1856. A partir de cet axe, les rails se prolongent vers Brives et vers le Lot et quelques voies secondaires se greffent. Bergerac sera mis à l’écart mais la ville se battra pour faire partie d’un projet de ligne Bordeaux-Lyon passant par la vallée de la Dordogne. Le projet se concrétisa et Bergerac fut relié par les rails en 1875 ; malheureusement la ligne n’atteindra jamais Lyon et les travaux n’iront jamais plus loin qu’Aurillac. Peu desservi par les rails, la ville ne peut concurrencer avec ses bateaux la rapidité et la sureté du transport de marchandise par voie ferrée malgré les aménagements fluviaux (canal de Lalinde et ses écluses). La batellerie déjà mise à mal par les différentes crises viticoles (édit du mois d’avril et crise du phylloxéra en 1878), décline définitivement au XIXe siècle. Les gabarres deviennent des embarcations typiques pour les promenades des touristes sur la Dordogne.

  La poudrerie : une ville dans la ville

L’usine de coton-poudre de Bergerac. 230 hectares dédiés à la fabrication de la poudre et aux logements des ouvriers. Source : Photographie aérienne de Roger Henrard, CAUE 24

A l’Est de la ville, sur des étendues de près et de culture, un nouveau paysage se dessine à Bergerac. En 1915, un ingénieur militaire, Monsieur Prangey, désigne la ville de Bergerac comme lieu de construction d’une fabrique de coton-poudre dans le but d’alimenter les soldats de la Première Guerre Mondiale en munition. L’emplacement est idéal, loin du front, le site est proche de l’eau et pourra être alimenté en électricité via la nouvelle usine hydroélectrique de Tuilières [1] . Hangars, silos, séchoirs, réservoirs, habitations d’ouvrier sortent du sol, et en 1917, les premiers essais de fabrication de poudre commencent. Une véritable ville dans la ville est créée car et plusieurs milliers d’hommes et de femmes travaillent et vivent dans l’enceinte de l’usine. Ainsi crèche, garderie, hôpital, école ou magasin sont construits sur le site pour permettre aux ouvriers et ouvrières d’être productif pendant cette période de guerre. A l’armistice, la poudrerie ne produit plus et le site est délaissé. Il sera remis en fonction lors de la seconde Guerre Mondiale. Travaillant au départ pour les Français, les allemands récupéreront le site en1942. Les Français travaillent pendant plusieurs années pour l’ennemi. Après la guerre, l’usine s’est diversifiée pour survivre à l’arrêt de la fabrication de munition : peinture industrielle et vernis furent produits. Toutefois, la fabrication de poudre ne s’arrêta pas complétement car aujourd’hui le site produit toujours des munitions pour l’état français mais aussi pour l’étranger.
Les 230 hectares d’usine de poudrerie marque le paysage à l’entrée de la ville Est de Bergerac. Un véritable témoin de notre histoire qui a transformé durablement le paysage agricole ouvert en un paysage industriel.

  Sources

- Fénelon Paul. Le vignoble de Monbazillac. In : Revue géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest, tome 16-17, fascicule 1-2, 1945. pp. 5-35.
- Genty Michel. Le désenclavement routier et ferroviaire des villes du Périgord et du Bas-Pays limousin au XIXe siècle. In : Annales du Midi : revue archéologique, historique et philologique de la France méridionale, Tome 93, N°153, 1981. pp. 279-291.
- Beauroy Jacques. Aspect de l’ancien vignoble et du commerce du vin à Bergerac, du XIVe au XVIIIe siècle. In : Annales du Midi : revue archéologique, historique et philologique de la France méridionale, Tome 77, N°73, 1965. pp. 275-292.
- La poudrerie nationale de Bergerac d’une guerre à l’autre

[1Le barrage de Tuilières et sa centrale hydroélectrique ont été conçus par l’ingénieur Albert Claveille et mis en service en 1909

Voir aussi