La culture de la vigne en Dordogne

St-Laurent-des-Vignes

Rédaction et illustration CAUE 24

  La vigne dans l’ombre de l’expansion de l’empire romain puis de la diffusion de la religion chrétienne

La vigne était conduite sur des treilles. Détail d’une mosaïque du calendrier agricole, provenant de Saint-Romain-en-Gal (Rhône), datant du début du IIIe siècle ap.JC, Musée d’archéologie nationale, Saint-Germain-en-Laye. Source : www.inrap.fr

Espèce cultivée depuis l’Antiquité dans le Sud de la France, la vigne est arrivée progressivement dans notre département pour remplacer petit à petit la cervoise et l’hydromel. Les plants, adaptés au climat méditerranéen, ont été greffés pour pouvoir s’adapter au climat plus froid et humide de la Dorodgne. Le plus souvent, la grimpante était plantée au pied des arbres qui lui servaient alors de tuteur, cette méthode est appelée culture en hautain. Elle pouvait également être conduite sur des pergolas. Cette dernière technique permettait ainsi aux grappes de mieux profiter du soleil, n’étant plus ombragées par les feuillages des arbres. Pour multiplier les plants, les paysans romains procédaient par bouturage ou par provignage (identique à la technique du marcottage). En Dordogne, la vigne ne fait pas encore l’objet d’une réelle production comme dans d’autres régions de la France, notamment en méditerranée, mais elle fait partie des plantes communes des jardins. La culture de la vigne se répand si bien dans les provinces de Gaule que l’empereur Domitien ordonne en 92 ap. JC l’arrêt de toute nouvelle plantation ainsi que l’arrachage d’un grand nombre de plants en Gaule, au profit de la production de céréales en manque dans l’empire. En 276, son successeur Probus leva cette mesure et la vigne poursuivit son expansion dans le pays.

Au Moyen Age, la vigne trouve sa place dans les jardins vivriers, près des châteaux mais surtout dans les édifices religieux. Le vin est lié au christianisme et suit l’essor de la croyance à travers le pays. Le breuvage devient la boisson quotidienne mais aussi celle des grands événements liturgiques. Sa culture s’intensifie alors car en plus de sa grande consommation, le vin est une ressource économique très intéressante comparée aux autres cultures.

Les parcelles de vignes ne ressemblent pas à nos paysages viticoles d’aujourd’hui. Les vignes sont basses, sans échalas, et multipliées par provignage. Les ceps sont disposés de façons désordonnées sur la parcelle. Source : Les Très riches Heures du duc de Berry, mois de mars et de septembre. XVe siècle

Les parcelles cultivées ne ressemblent toutefois pas à celles d’aujourd’hui, elles sont beaucoup plus désordonnées. Au fur et à mesure du provignage [1], les rangées disparaissent et les jeunes plants sont créés en étoile autour du pied mère, désordonnant complétement l’alignement originel. En fonction des régions, les modes de culture varie : vignes basses sans tuteur (ressemblant aux vignes taillées en gobelet dans le Sud de la France aujourd’hui), mis en place d’échalas [2] ou encore de treilles. La vigne est plantée partout, sans grand égard à la qualité du sol ou à l’ensoleillement. La qualité est ainsi très variable et le manque de connaissances sur la culture de la vigne par les paysans occasionne des rendements peu productifs et peu qualitatifs. Le paysage de vignobles de grands crus d’aujourd’hui n’est pas encore dessiné.

  La renommée

La vigne (en pourpre) est une culture omniprésente dans les paysages de Dordogne. Elle peut être sous la forme de petites parcelles dans certains secteurs pour faire son propre vin ou bien être la culture dominante comme dans le Bergeracois. Carte de Belleyme XVIII ème siècle, secteurs de Bergerac et de Ribérac

Les axes de communication des vallées avec d’autres régions et d’autres pays vont permettre d’améliorer petit à petit la culture de la vigne avec l’introduction de nouveaux plants et de nouvelles connaissances et pratiques. Bien qu’elle soit présente partout en Dordogne, pour beaucoup de paysans la méthode de culture de la vigne est méconnue ; leur vin n’est donc pas d’une bonne qualité gustative. Mais pour d’autres secteurs comme celui de Bergerac, le sol composé de calcaire lacustre, l’exposition et le climat se prêtent parfaitement à la création d’un vin singulier. La tutelle du roi d’Angleterre sur le duché d’Aquitaine permet l’exportation des vins du Bergeracois vers l’Angleterre. La qualité du vin y est reconnue. Alors que d’autres secteurs sont soumis à des taxes le long de la rivière au niveau des passages de grandes villes ou de ports mais également à l’obligation d’attendre Noël avant de pouvoir descendre leurs vins par voies fluviales, Bergerac est exempté de toutes ces contraintes par Henri III, roi d’Angleterre. La situation stratégique de Bergerac, tiraillé sans cesse entre les royaumes d’Angleterre et de France, a permis l’obtention de cette grâce particulière. C’est ainsi que le commerce des vins de Bergerac prospère pendant plusieurs siècles.
La recherche de la qualité des vins porte ses fruits et la délimitation du secteur de la vinée est actée au XIVe siècle dans le secteur de Bergerac. Cette délimitation permet alors d’autoriser le commerce dans l’enceinte de la ville uniquement aux vignobles de la vinée et de leur donner la priorité à l’exportation vers les ports de Bordeaux. Les tonneaux étaient estampillés d’une marque indiquant leur provenance. Petit à petit le commerce Bergeracois s’étend au-delà des frontières françaises et Anglaises et les vins liquoreux de Monbazillac sont goutés et appréciés des Hollandais. Un commerce florissant voit alors le jour à partir du XVIIe siècle entre les deux pays dont les liens se solidifient avec l’émigration des Huguenots en Hollande, fuyant les persécutions religieuses.

L’enquête de Cyprien Brard de 1835 sur les différentes communes, révèle les pratiques agricoles de l’époque. En Dordogne, la vigne est cultivée basse, à la différence de la culture en vigne haute c’est à dire en hautains ou en espaliers. Selon les secteurs, des échalas sont installés pour guider le plant. A Bergerac, les jeunes ceps sont tenus par des échalas puis retirés après la croissance du jeune plant ; à Monsaguel il n’y a pas d’usage d’échalas. Des différences de façons [3] sont également notées dans l’enquête qui peuvent varier de deux à trois façons selon la commune. A Brantôme, quatre façons sont données contrairement à Eymet ou seulement deux sont pratiquées. Cependant, de manière générale, la terre est travaillée à la main car le provignage, toujours utilisé pour multiplier les plants, donne des parcelles désordonnées difficiles à travailler avec un outil tiré par des animaux. La technique de la greffe est méconnue et les plants ne sont multipliés que par marcottage ou bouture.

  D’autres paysages liés à la vigne

La culture de la vigne est associée à la présence de bois dans le paysage. Les tonneaux contenant le vin sont issus des forêts de châtaigniers de la Dordogne et de la Haute Dordogne. Les feuillardiers [4] préparaient en forêt des cercles en châtaigniers ensuite disposés sur les tonneaux afin de les protéger pendant le transport. Les échalas, piquets en châtaigniers ou en acacia, sont de plus en plus utilisés dans les vignobles pour conduire la grimpante. Les pieds de vigne sont donc accompagnés par un piquet, chacun permettant aux branches de grimper.

Culture de la vigne avec échalas au pied du bourg de Douzillac. Source : SHAP
Travailleurs au champ et dans la joualle. La « joualle », « joelle » ou « journal » est une petite parcelle vivrière travaillée en une journée, composée de vigne complantée d’arbres fruitiers et de cultures entre les rangs. Sadillac.

Dans les secteurs où la vigne n’est pas l’objet d’un commerce important, elle est cultivée sous forme de joelle ou joualle. Il s’agit d’une complantation qui permet aux paysans d’avoir sur une même parcelle une grande diversité de fruits et de légumes. Ainsi des fruitiers, comme les pruniers, étaient plantés et servaient de tuteur vivant au pied de vigne planté à leur pied. Chaque rangée de fruitiers était espacée de manière à cultiver des légumes ou des céréales entre les rangs. Les joelles pouvaient être aussi une plantation alternée entre des rangs d’arbres fruitiers et des rangs de vignes basses. Ce motif paysagé commun autrefois, est aujourd’hui peu visible dans notre paysage suite à l’intensification agricoles ainsi qu’aux remembrement du foncier agricole du XXe siècle.

Les pigeonniers témoignent d’un ancien paysage viticole car la colombine était étalée sur les parcelles pour amender le sol. Vélines à gauche et St-Félix-de-Reillac-et-Mortemart à droite.

Etant une plante présente dans tous les jardins vivriers, la vigne était plantée partout, parfois sur des terrains difficiles à son développement. Sur les terrains trop caillouteux, on retirait les pierres du sol travaillé et les paysans les entassaient sous forme de murets, pour délimiter les parcelles ou le terrain en pente, ou sous forme de cabanes. Ces dernières permettaient aux cultivateurs d’entreposer les outils mais aussi de s’abriter en cas d’intempéries. De taille modeste, elles ne permettaient pas de s’y loger pendant plusieurs jours. Ces petits patrimoines de pays pouvaient également être accompagnés de pigeonnier. En effet, avec l’amélioration de la connaissance sur la culture de la vigne, des travaux de fumure de la terre se sont avérés nécessaire pour garantir la quantité et la qualité des grappes. Ainsi, les grands domaines viticoles seigneuriaux se sont enrichis de pigeonniers, qui offraient ainsi de la viande fraîche pour le seigneur mais aussi de la colombine. Cet engrais particulièrement riche pour les sols était ainsi étalé au pied des vignes pour garantir une bonne récolte. Les pigeonniers sont devenus des signes de richesse pour les seigneurs, seuls autorisés à en posséder et cela jusqu’à la Révolution (droit de colombier).
Ces différents patrimoines de pays sont encore visibles dans nos paysages et témoignent d’un paysage viticole d’antan.

  L’enchainement des crises du XVIIIe et du XIXe siècle.

Alors que le commerce viticole de Bergerac était fructueux, l’Edit de Turgot de 1776 sonna la fin d’un marché sans concurrence grâce à ces privilèges. En effet, cette ordonnance a établi la libre circulation des vins dans le royaume. La révolution française a aboli toutes les taxes et privilèges et a amplifié ainsi la concurrence des vins dans toute la France. La qualité des vins du Bergeracois permit toutefois de conserver certains marchés au moment où les prix des vins étaient au plus bas.
Alors que l’économie viticole se remet de cette première crise, les maladies tels que l’oïdium et le mildiou sont introduites en France. Des traitements chimiques au souffre et au sulfate de cuivre sont inventés pour traiter ces champignons atteignant le feuillage.

Mais la pire crise viticole reste à venir. Un insecte ravageur, le phylloxéra, s’installe en France à la fin du XIXe siècle. Il arrive en Dordogne autour de 1878 et décime les pieds de vigne en s’installant dans le feuillage et les racines de la vigne. Des comités sont créés pour comprendre ce nouvel insecte venu des Etats-Unis et trouver des solutions pour sauvegarder les vignes du pays. Plusieurs hypothèses d’éradication de l’insecte sont évoquées comme noyer les plantations, injecter des produits chimiques dans les racines ou encore électrifier le système racinaire ; mais les solutions sont trop coûteuses ou impossibles à pratiquer. Les parcelles de vignes sont dévastées. Le paysage viticole est détruit en quelques années.

Carte de la présence du phylloxéra en France en 1882. La Dordogne est très atteinte par l’attaque du puceron. Source : Le Phylloxéra de la Vigne, Maurice Girard, Hachette, 1883.
Replantation de plants greffés sur des porte-greffes américains résistants au phylloxéra. Source : SHAP

Les recherches mènent à un remède efficace : les plants français doivent être greffés sur des porte-greffes américains moins sensibles à l’attaque de l’insecte. Un pépiniériste Bergeracois, M. Perdoux entame donc le travail de greffage des cépages français sur les plants américains. Le paysage viticole se reconstitue alors mais se modifie. Plus question de provignage avec des plants greffés, ainsi les parcelles plantées de ceps alignés sont tenus par des échalas et reliés par des fils de fer, inventés au XIXe siècle. Cet alignement des rangs permet alors le passage d’un araire tiré par un cheval ou un bœuf, puis, plus tard par les tracteurs. Avec cette crise du phylloxéra, beaucoup de paysans ont arraché leur vigne et ont planté de nouvelles cultures de remplacement (céréales, bois…). Mais dans certains secteurs, comme celui du Bergeracois et dans le Dommois, la vigne fut replantée au vu de la particularité du sol donnant un vin singulier et de qualité.

  La création des AOC

Carte d’occupation des vignobles en Dordogne. Les parcelles de vignes se concentrent aujourd’hui dans le sud-ouest du département.

La crise du phylloxéra entraîna de nombreuses fraudes dues à la pénurie de vin. Vente d’eau sucrée mélangée au marc ou falsifications des origines du breuvage furent courantes. C’est ainsi que les premières délimitations d’appellations furent fixées au XXe siècle. Les syndicats, le plus souvent issus des comités de lutte contre le phylloxéra, sont engagés pour contrôler la qualité des vins produits sur un territoire délimité.

Les chartes des AOC permettent de définir la délimitation de l’appellation, les cépages autorisés ainsi que les différentes conduites de la vigne : vigne basse ou haute, type de taille, hauteur et densité des ceps dans la parcelle…
Les parcelles de vignes sont de véritables rentes foncières car elles valent de 17000 €/ha pour un Monbazillac à 30 000€/ha pour un Pécharmant alors qu’une prairie est aux alentours de 5300 €/ha dans le secteur de Bergerac (source : chambre agriculture données de 2018). Le paysage viticole d’aujourd’hui représente donc l’optimisation de ce morceau de terroir précieux et renommé.

Carte des AOC dans le secteur de Bergerac
En Dordogne, plus de 12 800 hectares (en 2006) sont inclus dans une AOC mêlant à la fois les grands crus de rouges, de rosés et blancs. Source : www.espritdepays.com
Le vignoble de Dordogne en chiffres

  Sources

- https://gallica.bnf.fr/ark :/12148/bpt6k9674757n/f22.item.r=vigne%20dordogne.zoom
- https://www.inrap.fr
- http://espritdepays.com/gastronomie-terroirs-viticulture/vins-et-viticulture/13-appellations-et-5-couleurs
- https://dordogne.chambre-agriculture.fr/etre-agriculteur/jestime-mon-exploitation/prix-des-terres-agricoles/
- Le vignoble de Monbazillac. Fénelon Paul. In : Revue géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest, tome 16-17, fascicule 1-2, 1945. pp. 5-35.

[1Marcottage de la vigne consistant à coucher en terre un cep entier ou un sarment afin de multiplier le plant

[2Piquets en bois, souvent en acacia ou châtaignier, soutenant les branches de la vigne. Appelé aussi Carrasson en Périgord

[3Travail de la terre

[4Voir en savoir plus sur les bois en Dordogne

Voir aussi