Une identité fédérée par le terroir périgourdin, vivifiée par les images des vallées

À quelques nuances près, le territoire du département de Dordogne, créé en 1790 par la Convention, se calque sur celui de l’ancien comté du Périgord. Encore très vivante, cette identité périgourdine, porteuse d’images de terroir, de ruralité, de paysannerie peu altérées par la modernité imprègne les représentations paysagères du département. La Dordogne, quant à elle, est devenue le porte-nom des paysages emblématiques des vallées qui sillonnent le département. Elle déploie des figures de nature généreuse, accueillante, où se sont développées, de l’art pariétal à l’architecture des « 1000 et un châteaux », parmi les plus anciennes et belles formes du génie humain. Largement déclinée et amplifiée par la promotion touristique, cette représentation qui conjugue non sans réalité ambiances de terroir, nature préservée et riche patrimoine, tend aussi à confiner le département et ses paysages dans une représentation surannée dont de nombreux espaces ruraux et urbains sont, par là même, exclus.

Les « figures » et principaux emblèmes du département de la Dordogne, Carte postale, années 1960 (?), Société Historique et Archéologique du Périgord

Trois vallées et leurs principaux affluents traversant un territoire quasi-uniformément vallonné et boisé construisent le fond de cette carte postale illustrée dans une fausse facture ancienne du département la Dordogne (la grotte de Lascaux figurée ici par son emblème, l’auroch, a été découverte en 1940). Les principaux châteaux, la cathédrale de Périgueux, Lascaux et les Eyzies d’un côté, le foie gras, la truffe et le vin de Bergerac ou de Monbazillac de l’autre identifient le département. Au centre la figure de Montaigne ajoute à l’ensemble son aura humaniste et universaliste.

  Une manière de voir les paysages (presque) inchangée depuis la fin du XIXe siècle

Une grande variété de paysages, des vallées pittoresques et fertiles, des plateaux plus arides et boisés.

« La Dordogne est un département heureusement accidenté, bien que les nombreuses chaînes de collines qui le traversent du nord-ouest au sud-ouest atteignent, en général, une faible hauteur.
(…)
L’inclinaison générale du sol est de l’est à l’ouest, c’est là l’inclinaison du cours de la Dordogne ou, plus exactement, du nord-est au sud-ouest, ce qui est la direction des quatre rivières importantes du département, la Vézère, l’Isle, la Dronne et l’Auvezère.
(…)
Mais si les plateaux ont un aspect si triste, si stérile, les vallées sont charmantes et souvent extrêmement fertiles. La vallée de la Dronne, moins pittoresque que celle de la Vézère, et que certaines parties de la vallée de la Dordogne, est la plus jolie du département et peut-être de tout l’Ouest ; sauvage et déserte jusqu’à Saint-Pardoux-la-Rivière, elle s’élargit au continent de la Colle ou Côle et se peuple dès lors de paysages enchanteurs. La vallée de l’Isle est plus large, plus riche, mais moins gracieuse. Quant à la vallée de la Dordogne, elle est, vers Domme et Beynac, une des plus belles, et vers Bergerac une des plus fécondes de la France. Cette rivière, qui a, dans le département, un cours de plus de 170 kilomètres, serpente au travers de campagnes superbes.
(…)
Les plateaux arides qui occupent une partie considérable de l’est, du nord et du centre du département, tout en continuant à dominer faiblement ces vallées, deviennent de plus en plus étroits vers la partie occidentale, mais sans perdre rien de leur caractère sauvage ; au contraire, car c’est là que se trouve la Double. La Double, vaste contrée de 48 000 hectares, s’étend entre les parties inférieures des vallées de l’Isle et de la Dronne. C’est la portion la plus infertile et la plus malsaine de ce beau département.
(…)
Les paysages gracieux et pittoresques abondent dans les vallées de la Dronne, de l’Isle, de la Dordogne, de la Vézère et de l’Auvezère. Nous citerons seulement les roches et les talus des rives de la Dordogne, vers Domme les beaux rochers qui bordent, au Moustier, le cours de la Vézère ; les gorges du Génis où court l’Auvezère ; enfin les rochers qui bordent ou surplombent la Dronne un peu en amont de Bourdeilles. »

Adolphe Joanne, Géographie du département de la Dordogne, Hachette, 1877

« Nulle ressemblance entre le Nontronnais, si proche du Limousin avec ses herbages, ses châtaigniers et ses landes, la Double avec ses forêts et ses marais, les plateaux calcaires du Périgord Blanc et du Périgord Noir, secs et souvent déshérités, les vallées fertiles de la Dordogne, de l’Isle, de la Dronne, les riches coteaux du Périgord. »

Périgord, Limousin, Quercy, (Guide vert), Michelin, 1964 [1]

« S’étendant du Limousin aux vallées de l’Aquitaine, le Périgord a des limites qui se confondent avec celles du département de la Dordogne. Des roches primaires constituent la bordure du Massif Central ; des calcaires secondaires forment l’ensemble des plateaux qu’entaillent les vallées de la Dronne, de l’Isle, de l’Auvezère, de la Vézère et de la Dordogne, des sables tertiaires composent les terrasses du Bassin Aquitain. La variété des paysages est aussi éclatante que cette diversité géologique. Les bois nombreux, occupent 40 % du pays ».

Périgord : Berry, Limousin, Quercy (Guide de tourisme Michelin), Michelin, 1983

  Dordogne et Périgord, appellations jumelles

Les géographies anciennes postérieures à la création du département utilisaient clairement le nom de Dordogne pour décrire le territoire, utilisant celui de Périgord lorsque le propos devenait plus historique ou ethnologique. Aujourd’hui, les deux dénominations sont le plus souvent confondues par l’édition touristique.

Page d’accueil du site Internet du Comité départemental du tourisme de Dordogne, septembre 2018

Le site Internet du Comité départemental du tourisme accorde l’égalité aux deux appellations. La mise en exergue graphique de la syllabe « or » commune aux deux, le slogan « c’est de l’or », viennent renforcer cette gémellité.

Couvertures de Guides « Petit Futé » : de gauche à droite et de bas en haut, les éditions de 2013, 2013-2014, 2014, 2015, 2016-2017, 2017, 2017-2018, 2018-2019

Les titres des différentes éditions du Petit futé associent sauf exception Périgord et Dordogne. Les illustrations choisies pour caractériser le département montrent à égalité patrimoine bâti (châteaux et vieilles demeures), sites emblématiques de vallées et marqueurs du patrimoine gastronomiques (truffes, cèpes et caves (vin) et oies (foies gras).

Couvertures de « Guides Verts » Michelin. De gauche à droite et de bas en haut, les éditions de 1959, 1994, 2000, 1976, 2007, 2008, 2010, 2012, 2013, 2018 intitulées « Périgord Quercy » avec en sous-titre « Dordogne-Lot ».

La collection des Guides vert Michelin en langue française consacrés au département titrent invariablement depuis le milieu des années 1950 sur le Périgord, auquel sont associés, selon les éditions, le Limousin, le Quercy, le Berry. À quelques exceptions près dans les années 1960 et 1990 et 2010, le nom de l’ancien comté garde toujours la place en tête de la page de couverture. Depuis les années 2000, sans doute par souci de clarté, les noms des départements (Dordogne associé au Lot) apparaissent en sous-titre.

Périgord français et Dordogne anglo-saxonne

Les éditions françaises des guides touristiques titrent donc volontiers sur « Périgord », terme davantage identifié par le public hexagonal [2] et relevant de thématiques (gastronomie, châteaux, histoire) précieuses à ce type de publications et au tourisme « vert ».

Dernières éditions 2018-2019 du guide vert Michelin consacré au territoire de la Dordogne

La version anglaise, à gauche, titre sur la Dordogne qu’elle rattache moins au Périgord qu’au Limousin. La version française, fidèle à ses traditions titre sur le Périgord uni au Quercy. Ce n’est qu’en sous-titre (Dordogne – Lot) qu’apparaissent les noms des départements décrits. Dans les deux cas, c’est l’image d’une vallée située en Dordogne (Dordogne à gauche, Vézère à droite) qui ont été choisies pour illustrer les deux guides.

  Petites régions naturelles, agricoles, dénominations touristiques pour quelles images de paysage ?

De nombreux découpages et dénominations décrivent, selon différents points de vue (administratif, géographique, naturaliste, agricoles, économique …) le territoire départemental. Mais en termes de représentations, c’est le tourisme ou la littérature de vulgarisation qui jouent le rôle prépondérant en créant de manière durable des images de paysage.

Pays et paysages. www.espritdepays.com

Il est habituel dans les descriptions contemporaines du département de caractériser les paysages de Dordogne selon quatre grands ensembles. Au nord-est, le Périgord vert ou limousin, couvert en partie par le parc naturel régional Périgord-Limousin, est porteur d’images simples de « prairies et (…) forêts dans un camaïeu de vert, de « hautes terres de roches anciennes. » [3] Au nord et au centre, le Périgord blanc correspondant généralement à une large zone autour de Périgueux, est décrit « comme une immense clairière de calcaire crayeux au milieu de forêts » [4]. Au sud-ouest, la dénomination de Périgord pourpre, la moins comprise sans doute, fait essentiellement référence à la zone de vignoble de Bergerac et Monbazillac. Au sud-est, Périgord noir, la plus ancrée et la mieux connue, des quatre appellations, évoque les paysages des vallées de la Dordogne et de la Vézère, enserrées dans des « hautes collines massives [5] » couvertes de « forêts de châtaignier, de pins maritimes et surtout de chênes, petits chênes pubescents au tronc noir qui gardent leurs feuilles mortes dorées tout l’hiver ou bien encore, dans les endroits exposés au midi, chênes verts aux feuilles persistantes  » [6].
La littérature scientifique ou simplement sérieuse substitue ou complète ce découpage jugé à la fois simpliste, et d’une complexité inutile (notamment pour les professionnels du tourisme), des noms issus de la tradition géographique des régions naturelles. Cependant, ces partitions ou différenciation plus fines du territoire restent peu diffusées et appropriées et, en conséquence, assez peu porteuses d’images de paysages, à l’exception peut-être des Causses et du Landais qui expriment en elles-mêmes un type d’espace.

Le tourisme institutionnel de niveau départemental dont le poids en termes de représentations est très important, organise la description de la Dordogne et de ses paysages en 7 ensembles :
1-2 / Le « Val de Dronne et le PNR Périgord-Limousin », le « Périgord sensations » [7] qui, unis, correspondent approximativement au Périgord vert, sont définis au travers de leurs espaces naturels préservés (PNR) propices aux activités sportives (« sensations »), de leur patrimoine bâti (Brantôme, « Venise » du Périgord, églises romanes) et historique (métallurgie).
3 / « Périgueux et la vallée de l’Isle », qui se calque sur le Périgord blanc, est bien identifié géographiquement. Les descriptions évoquent principalement des paysages à dominante historique (Périgueux et ses 2000 ans d’histoire, l’ancienne activité de batellerie de la vallée de l’Isle aval) et le parcours de la rivière aménagé pour le vélo.
4 / Dans le Périgord noir, « Lascaux Vézère, vallée de l’Homme » distingue la vallée et son patrimoine préhistorique de grottes ornées, dont les paysages sont à découvrir de manière privilégiée en canoë.
5 / Toujours dans le Périgord noir, le « Pays de Sarlat » se nourrit des images de la cité médiévale, du patrimoine des châteaux forts (Beynac, Castelnaud), du village de la Roque-Gageac (sur la Dordogne)
6 / A la fois en Périgord noir et Périgord pourpre, la « vallée de la Dordogne » est caractérisée par ses nombreux panoramas, son histoire médiévale (châteaux-forts, bastides) et à ses forêts symbolisées par la châtaigne et le cèpe.
7 / Le « pays de Bergerac, vignoble et bastides » en Périgord pourpre, s’identifie par son vignoble, son patrimoine bâti (bastides et châteaux).

Ces partitions du territoire départemental visant à mettre en valeur ses qualités touristiques les plus attrayantes, précisent, sans doute, en décrivant plus finement certains caractères paysagers, la partition coutumière en Périgord vert, blanc, noir et pourpre. Mais, sans cartographie (la carte touristique de Dordogne produite par le CDT s’affranchit de tout découpage), elle amplifie la vacance descriptive de grands pans de territoire comme le grand plateau central, certains espaces boisés, les villes non patrimoniales…) et la focalisation des regards sur le patrimoine et les paysages des vallées.

  Préhistoire et art pariétal : l’identité remarquable

Les paysages du Périgord accueillent les vestiges préhistoriques (Paléolithique) parmi les plus importants de l’histoire humaine. Les principaux sites (abris sous roches, grottes, grottes ornées…) sont répartis dans les vallées de la Vézère et ses affluents. Très protégés, pour certains depuis le début du XXe siècle, ils caractérisent les paysages départementaux et les ancrent dans une profondeur historique sans égal.

L. Mercier, Femmes, hommes et enfants vivant dans les grottes de la Vézère en Dordogne, 1933
Photo (C) RMN-Grand Palais (musée de la Préhistoire des Eyzies) / Franck Raux
La falaise de la Roque Saint-Christophe, en rive gauche de la Vézère, 2006
Photo : Oups 79, Wikipedia commons

[1Cité en exergue du chapitre « géographie, géologie, climat » du site Internet dédié au Périgord : http://espritdepays.com

[2Selon « Comment renforcer l’attractivité touristique de la destination Dordogne-Périgord », étude réalisée par le bureau d’étude TNS pour le compte du CDT, l’identification du territoire départemental est plus proche de la réalité quand il s’agit de repérer sur une carte le Périgord plutôt que la Dordogne.

[3In : Dordogne Périgord, Christine Bonneton, 2007 p. 254

[4In Périgord, Berry, Limousin, Quercy, guide Tourisme, Michelin, 1983

[5in : Dordogne Périgord, Christine Bonneton, 2007 p. 262

[6ibid

[7Cette appellation est étonnante. C’est la seule parmi les 7 ensembles décrits qui ne fait référence à aucun lieu géographique alors qu’il est par ailleurs bien spatialisé « Avec pour cadre naturel les paysages et les forêts du Parc naturel régional Périgord Limousin, ce territoire 100 % nature, 100 % gourmand est apprécié des amateurs de patrimoine et de sensations fortes. »