La production architecturale de l’habitat individuel, composante des paysages

La pluralité des paysages habités de la Dordogne est un marqueur identitaire du territoire périgourdin. Cependant, elle souffre de la standardisation de la construction individuelle de la 2nde moitié du XXe siècle et trouve difficilement ses modèles de maisons d’aujourd’hui.

Rédaction et illustration CAUE 24

Entrée du bourg de Léguillac-de-l’Auche

  Une architecture traditionnelle multiple

La Dordogne est une terre de transition territoriale avec une géologie qui présente une grande diversité de roches composant ses sous-sols (Voir Les maçonneries de l’architecture traditionnelle). En exploitant ceux-ci, ses habitants ont disposé de matières premières locales pour façonner leur habitat. C’est ainsi qu’une architecture traditionnelle très riche, tant dans ses couleurs que dans ses formes, est née et s’est constituée au fil du temps. Ces constructions locales déclinent des particularités marquées qui ont participé au façonnement des paysages identitaires de la Dordogne. Ainsi, l’habitat aux murs et aux toits en pierre calcaire du Périgord noir ou encore la ferme en pans de bois et torchis de la Double est le résultat de l’utilisation des matériaux disponibles sur place.

Maison aux murs en granit dans le Périgord Limousin
Maison de journalier aux murs en schiste et gneiss dans le Périgord Limousin
Murs à pans de bois et remplissage en torchis protégés par de grands débords de toit – La Double et le Landais
Maçonnerie en grès rouge pour cette petite unité d’habitation dans le Pays d’Hautefort
Construction entièrement en pierre calcaire dure dans le Périgord Noir
Maison en pierre calcaire tendre dans le Ribéracois
Habitation en pierre calcaire lacustre dans le Pays de Vélines

  Une production standardisée de l’habitat depuis le XXe siècle

A partir de la fin du XIXe siècle avec l’arrivée du chemin de fer en Dordogne, certaines constructions locales vont intégrer des matériaux provenant d’autres régions. Une architecture bourgeoise avec des toitures en ardoise fait alors son apparition dans les villes et ponctuellement dans les campagnes modifiant les paysages habités.
Dans les années 1930, la volonté de rendre accessible l’habitat individuel au plus grand nombre amorce le développement de l’habitat pavillonnaire. Encore construite avec des matériaux locaux (pierres, tuiles…), la maison de type loi Loucheur présente les premières maisons individuelles bon marché aux modèles standardisés. Constitutives des débuts de la périurbanisation des villes de Dordogne, leur présence reste mesurée dans les centres-bourgs.
Après la Seconde Guerre mondiale, l’habitat individuel se démocratise et des modèles de maison à l’échelle nationale se développent. Réalisées avec des matériaux issus de l’industrie (parpaings, fibrociment…), ces maisons contribuent au développement urbain des villes et apparaissent dans les campagnes comme modèle de vie confortable (larges ouvertures en façade, équipement sanitaire à l’intérieur…).
Pour contrer cette standardisation, une architecture régionaliste de type « maison périgourdine », s’inspirant des codes de l’architecture vernaculaire du Périgord noir (volume à rez-de-chaussée surmonté d’un toit à forte pente en tuiles plates), se formalise et devient le modèle pavillonnaire en Dordogne dans les années 1970-80. Déployée sur tout le département, cette maison « périgourdine » se confronte à l’architecture vernaculaire multiple de la Dordogne et crée des anachronismes. A la fin du XXe siècle, les paysages habités continuent de s’altérer avec l’arrivée d’autres modèles néo-régionalistes comme la maison « provençale ».

Maison bourgeoise au toit en ardoises dans un village aux couvertures en tuiles plates
Maisons des années 1930 formant l’extension d’un bourg centre
Maisons du début XXe de styles régionalistes
Maison des années 1960 de plan courant
Maison de style périgourdin, développé dans les années 1970
Maison de style provençal

  Quelle architecture pour la maison individuelle du XXIe siècle ?

En ce début de siècle, les pavillons standardisés poursuivent leur progression dans les paysages de Dordogne. Aujourd’hui, le pavillon tendance est de style « contemporain » (murs blancs et toiture à faible pente tuiles gris foncé), très éloigné de l’architecture vernaculaire. Les constructeurs locaux ne se démarquent toujours pas des pavillonneurs aux enseignes nationales et proposent les mêmes modèles.
Avec une certaine prise en compte du développement durable et le retour à l’utilisation de matériaux locaux, la maison « bois » séduit et quelques acteurs du bâtiment se spécialisent dans le domaine, offrant ainsi une alternative. Ponctuellement, certaines de ses maisons « bois » reprennent également la volumétrie du séchoir à tabac, bâtiment agricole du XIXe et XXe siècle, abondamment répandu sur le territoire de la Dordogne. La réécriture architecturale de ce bâtiment à destination d’un usage d’habitation laisse libre cours à un aménagement intérieur correspondant aux critères de vie actuelle tout en conservant les marqueurs d’une architecture traditionnelle. Ce type de maison individuelle pourrait s’avérer un modèle à déployer sur l’ensemble du département de par ses références architecturales. Il pourrait être également un produit moteur de valorisation de la forêt locale (Voir Le bois en Dordogne). Plus largement, l’éco-construction propose une approche de l’habitat individuel qui attire un certain public souhaitant se rapprocher au plus près du terroir. Les projets, souvent d’auto-constructeurs, sont réalisés à l’aide de matériaux biosourcés (bois, paille, terre, chaux,…) avec pour ambition la création d’une maison bioclimatique peu consommatrice d’énergie. Il n’en découle pas de forme architecturale standardisée de style « maison écologique », bien au contraire, puisque chaque maison doit s’adapter et tirer parti de son terrain d’implantation. La production de la maison écologique en Dordogne s’attachera donc à s’inspirer et exploiter les atouts de l’architecture vernaculaire afin de proposer une architecture locale intégrée.
La maison individuelle d’architecture contemporaine réalisée par des architectes reste un produit unique suite à une commande particulière. En réutilisant les matières et couleurs locales, elle s’affranchit des volumes vernaculaires pour proposer une forme libre. Elle participe tout autant à l’écriture du paysage habité de demain en conservant les marqueurs des matériaux locaux. La réinterprétation contemporaine par certains architectes de la maison traditionnelle du Périgord noir en reprenant les volumes et en intégrant plus une relation forte entre l’intérieur et l’extérieur propose un style architectural sans être un pastiche.
Ces exemples de maisons individuelles donnent à réfléchir pour une production architecturale de l’habitat individuel de demain qui dessinera les paysages de Dordogne à venir.

Maison affranchie - Cynthia Pfeiffer / crédit photo : Ambre Ludwiczak
Volumétrie d’un hangar à tabac pour cette maison contemporaine - CoCo architecture
Maison « paille » aux finitions avec des enduits extérieurs à base de chaux et de sable locaux
Réinterprétation contemporaine de l’architecture du Périgord noir - Agence d’architecture Coq et Lefrancq
Pierres et tuiles canal pour une architecture intemporelle – Bernard Saillol

  Quelle prospective pour les paysages habités de Dordogne ?

La Dordogne connaît depuis ces dernières décennies une mutation de son espace rural et de la perception de son territoire. Depuis une vingtaine d’années, le département connaît une « renaissance » ou plutôt une « reconnaissance » rurale qui s’est matérialisée par la transformation d’un territoire désertifié et abandonné en un département où il fait bon vivre et passer ses vacances. Le territoire s’est ainsi transfiguré grâce à l’image positive qu’il renvoie, véhiculée par l’arrivée de nouvelles populations notamment britanniques.
En s’appuyant sur le développement de l’agro-tourisme depuis les années 1960, ce sont près de 3 millions de visiteurs par an qui viennent « consommer » le patrimoine naturel et culturel de la Dordogne plaçant ainsi le territoire comme premier département de tourisme rural en France. Grâce notamment à ces dix « Plus beaux villages de France » (premier ex-aequo avec l’Aveyron) et une concentration exceptionnelle de sites protégés connue dans le monde entier, c’est toute la diversité de l’architecture traditionnelle, composante des paysages de Dordogne, qui est alors mise en lumière et qui devient un des médias incontournable des campagnes de communication des politiques touristiques locales.
Ces images immuables de paysages périgourdins poussent à la patrimonialisation de ces espaces habités. La Vallée de la Vézère, récemment dotée du label « Grand Site de France », aura précisément pour objectif de trouver le juste équilibre entre conservation du paysage, économie touristique et vie locale pour ces prochaines années (Voir Etude préalable au classement de la Vallée de la Vézère, Dreal Nouvelle Aquitaine, 2008) . La protection de l’architecture rurale traditionnelle ne pouvant se généraliser sur un territoire, il est aussi important de se questionner sur la réutilisation et l’adaptation de ce patrimoine face à la politique à venir de la « zéro artificialisation nette des sols ».
Face aux enjeux de la transition énergétique, la pérennité de la production de l’habitat individuel standardisé de la 2nde moitié du XXe siècle est également préoccupante. Thermiquement peu qualitatif et majoritairement constitutif de l’habitat diffus de la Dordogne, ce patrimoine immobilier soulève de nombreux questionnements : faudra-t-il se résoudre à le déconstruire pour retrouver des sols non artificialisés et proposer une reconquête des espaces agricoles ? Restera-t-il un élément immuable des paysages habités et comment le valoriser, voir le recycler pour être adapté aux besoins de demain ? Positionné parfois en extension de bourg, ces perspectives de réinvestissement semblent plus favorables d’autant que le foncier non bâti lié à ce patrimoine est intéressant à exploiter.

  Sources

« Le tourisme en Dordogne-Périgord » - Espritdepays.com
« La reconnaissance rurale, l’exemple du département de la Dordogne » Hélène Velasco-Graciet / Ruralia 18/19, 2006

Voir aussi