Les carrières

Chaînon manquant entre la géologie, l’architecture vernaculaire et l’aménagement contemporain des espaces publics, les carrières en tant que lieu de production de matériaux de construction et de granulats jouent un rôle de première importance dans le paysage, tant par les structures que les matériaux produisent que les paysages qu’elles chamboulent puis transforment.
L’atteinte aux paysages, dans les exploitations à ciel ouvert est telle que la nouvelle d’une ouverture ou un agrandissement de carrière bouleverse les habitants du secteur, comme le font les implantations des éoliennes. C’est une empreinte profonde et irréversible, mais aussi l’opportunité de créer de nouveaux écosystèmes et de nouveaux paysages.

Rédaction et iconographie Anaïs ESCAVI, paysagiste-conseil DDT24

  Du souterrain à la surface : des impacts sur le paysage

Les premières extractions de matériaux se sont probablement faites en surface. La généralisation sur le territoire et leur forte localisation, au plus proche de l’usage, les ont rendues peu perceptibles. Un affleurement de pierre extrait sur une faible profondeur, un trou creusé pour extraire l’argile des mortiers qui se transforme en mare…
L’ouverture des grandes carrières a coïncidé avec les grands chantiers de construction et l’usage souterrain semble se généraliser à partir du XVIIIe siècle, avec l’essor urbain. Les territoires se spécialisent et le transport sur de plus grandes distances se généralise. La voie fluviale profite aux carrières proches des rivières navigables. Au XIXe, le chemin de fer accélère et démocratise l’usage de la pierre à bâtir. L’expansion du réseau ferré tend d’ailleurs à rapprocher les bassins d’extraction.
Au milieu du XXe siècle, l’avènement du béton et du parpaing, conduit à la fermeture de la plupart des carrières souterraines. Les seules carrières souterraines aujourd’hui en activité dans le département, se situent à St Astier pour l’extraction de chaux et celle de la pierre de Sarlat aux Eyzies, pour la restauration.
Dès les années 1900, l’extraction de moellons et de pierre de taille se convertit à ciel ouvert, afin d’exploiter les réserves que constituaient ciel et piliers conservés dans le dédale souterrain. C’est ensuite la mécanisation qui dicte le procédé.
A partir des années 60, avec l’usage du béton, la reconstruction d’après-guerre et l’extraordinaire expansion du réseau routier, le besoin en granulats explose. De nombreuses gravières sont creusées dans le lit des rivières et les anciennes carrières souterraines sont exploitées à ciel ouvert en concassage. Le gigantisme se généralise. Toutefois, avec la mise en place des études d’impact et de l’obligation de remise en état, à partir de 1976, des mesures de réduction des impacts sur le paysage sont appliquées : création de merlons, maintien de bandes forestières autour du site, si bien que certaines d’entre elles sont peu visibles dans le paysage. Les gravières sont plus difficiles à intégrer par leur positionnement alluvial car elles sont visibles depuis les coteaux.

La carrière Vèze aux Eyzies-de-Tayac, à 20km à l’ouest de Sarlat, exploite la pierre de taille pour la restauration. C’est l’une des rares exploitations souterraines encore en activité. Néanmoins, le front de taille à ciel ouvert est bien visible. Depuis la route, seul le panneau en dévoile la présence discrète.
La carrière de Bas-Prézat à Paussac-et-Saint-Vivien, à 30km au nord-ouest de Périgueux, exploite à ciel ouvert la pierre de taille pour la restauration.
Dans cette ancienne exploitation à ciel ouvert, le Reclaud à La Tour-Blanche, à 30km au nord-ouest de Périgueux, les stériles ont remodelé un nouveau paysage. Le site est pressenti pour l’implantation d’une centrale photovoltaïque.

  Des usages variés et stratégiques

Le calcaire

L’usage premier est celui la construction : pierre à bâtir, moellons, dalles… pour l’usage des roches massives, en granulats pour l’incorporation aux bétons et parpaings, broyé et cuit sous l’aspect de mortiers.
L’usage en granulats est de loin le plus conséquent en termes de volume, et d’impact sur le paysage. On estime la consommation à 7 tonnes/an/habitant ! Les granulats calcaires présentent un net désavantage par rapport aux sables et graviers alluvionnaires : la nécessité d’un concassage bruyant, générateur de poussières et plus onéreux. Cependant, le creusement dans les vallées comprend plus de désavantages écologiques, dans un milieu plus fragile, et les carrières calcaires offrent sur des épaisseurs considérables, des gisements de plus grande ampleur.
On pense immédiatement aux revêtements de nos trottoirs avec les bétons désactivés, aux sous-couches de nos routes et nos infrastructures ferroviaires. Or certains autres usages industriels des calcaires sont souvent peu connus du grand public. Les gisements du secteur de la Tour Blanche sont par exemple employés dans le domaine des plastiques et caoutchouc ainsi que les peintures. Les charges calcaires sont employées pour améliorer les caractéristiques mécaniques et chimiques de ces matières, y compris celles du papier (gisement de La Rochebeaucourt-Croix de Mareuil).
L’utilisation principale dans l’industrie demeure celle de la production de chaux destinée à l’agriculture, à l’industrie et au bâtiment. Le gisement de St Astier est pour cet usage particulièrement reconnu, notamment par la blancheur naturelle de sa chaux hydraulique, très appréciée pour la restauration du bâti ancien. Le gisement de Terrasson fournit des amendements agricoles.

La carrière de Bretonnier exploitée par SDC (Société départementale des carrières) à Cubjac, 20km à l’est de Périgueux, pour les granulats calcaires. Elle se découvre depuis la RD5. Dans certaines carrières dont les bancs calcaires sont positionnés en haut de plateau, il arrive qu’un point géodésique, indispensable pour la cartographie du territoire, complique l’extraction. Un point fixe demeure inexploité, créant une sorte d’éperon inaccessible dans le cirque de la carrière.

L’argile

Gisement d’argile à Tourtoirac. L’exploitation, terminée depuis 20 ans a laissé de grandes falaises et le fond de la carrière, étanche a été rapidement recolonisé. Un projet photovoltaïque est à l’étude.

Les gisements d’argile, pour la fabrication de briques et de tuiles, présents dans le secteur de Tourtoirac et de Montpon ont été fortement exploités par le passé. Aujourd’hui, seuls les secteurs de Nontron et Teyjat sont en activité.
Le secteur de la Double produit des argiles kaoliniques utiles pour la production de céramiques réfractaires, sanitaires ou comme charges pour l’industrie. Certains sites fournissent de la halloysite, une argile extrêmement rare produite ailleurs en Nouvelle-Zélande, dont la résultante à la cuisson est une solidité plus grande. Les dépôts connus se situent en Périgord noir et ont été activement exploités durant les 19e et 20e siècles sur le pourtour du massif de la Bessède. Dans ce secteur sont exploitées les argiles bentonitiques aux multiples usages, notamment pour la purification de l’eau, du sucre, des huiles et pour son grand pouvoir absorbant.

Les roches éruptives et métamorphiques

Elles se situent au nord et nord-est du département en bordure du Massif Central. Parmi ces matériaux qui couvrent le quart du département, on peut distinguer les granites gris et roses de la région de Nontron-Abjat et dont le massif de Piégut-Pluviers a fait l’objet d’une exploitation comme pierre ornementale. En revanche, les autres matériaux sont plutôt employés dans le domaine routier (gravillons de couche de roulement, remblais et assises de chaussée) : Cornéenne et dolérites du secteur de Thiviers-Corgnac-Dussac, gneiss, micashistes, pigmatites et pegmatites entre Terrasson et Jumilhac.

La silice

Les sables sont fortement présents dans le secteur de la Double, la silice en galet est exploitée à St-Pierre-de-Cole pour l’électrométallurgie (aciéries et fonderies).

Le sable et les graviers

Compris dans la grande famille des granulats, les matériaux alluvionnaires, les graves représentent 50% de la production de granulats dans le département. Ils se situent principalement dans les vallées des principales rivières : Dordogne, Isle, Dronne. Ils sont de nature variée : siliceuse, cristalline, métamorphique et calcaire, utilisés à 20% pour le bâtiment sous forme de béton et 80% pour le génie civil (50% pour les routes).
Par exemple, la construction d’une maison individuelle consomme 200 tonnes de sables et de graviers. 40 fois plus que la rénovation. La politique de réinvestissement dans le bâti ancien (opérations de revitalisation des centre-bourg, en cours, réduction des zones à urbaniser dans les documents de planification) plutôt que la construction neuve aura donc une incidence directe sur le paysage, en limitant la pression sur l’extraction de matériaux neufs.

  Cadre juridique et remise en état

Depuis juin 1994, l’exploitation des carrières entre dans le champ d’application de la loi de juillet 1976 relative aux installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE). Elle est donc soumise au régime de l’autorisation préfectorale préalable.
Le décret 77-1133, qui intègre les carrières à la législation sur les installations classées, comporte plusieurs articles spécifiques. Il stipule notamment que les autorisations sont accordées pour une durée limitée et doivent fixer le volume maximal des matériaux extraits et les conditions de remise en état du site après exploitation. La mise en activité des carrières est subordonnée à l’existence de garanties financières.
Un arrêté ministériel du 22 septembre 1994 modifié fixe les conditions d’implantation dans l’environnement et de limitation des risques et nuisances des carrières : aménagements, accès, déclaration de début des travaux, défrichage, archéologie, extraction, prévention des pollutions, rejets, poussières, bruit, vibrations, remise en état, remblayage, sécurité... Il encadre également les opérations de remise en état à l’issue de l’exploitation. Elle comporte au minimum les dispositions suivantes :
- la mise en sécurité des fronts de taille ;
- le nettoyage de l’ensemble des terrains et, d’une manière générale, la suppression de toutes les structures n’ayant pas d’utilité après la remise en état du site ;
- l’insertion satisfaisante de l’espace affecté par l’exploitation dans le paysage, compte tenu de la vocation ultérieure du site.
La loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, dite loi « ALUR », a fait évoluer les schémas des carrières afin de renforcer leur efficacité, de sécuriser l’approvisionnement et l’accès effectif aux gisements et de simplifier le dispositif. http://www.mineralinfo.fr/page/schemas-regionaux-carrieres
Des reconversions engagées dans le développement durable

Des bases de plein air

Dans le cas des gravières, la remontée de la nappe phréatique, ou le piégeage des eaux de surface créé des plans d’eau immédiatement propices à la reconversion en espace de loisir : randonnée, observatoires de la faune, loisirs nautiques : pédalo, canoë, jet ski, pêche…
Mais la multiplication des plans d’eau dans la même vallée aboutit parfois à des projets de reconversion qui manquent de cohérence entre les différents aménagements proposés. Dans l’Hérault, l’association Demain la Terre, qui œuvre dans le domaine de la sensibilisation à l’environnement, a finalisé en 2010 un schéma global de reconversion durable des gravières et fait connaitre la diversité écologique de certains sites.

Des lieux spectaculaires

A Tercé, dans la Vienne (86), la carrière de calcaire de Normandoux a été transformée en lieu de réception privé. Le hangar industriel accueille à l’étage le restaurant, désormais posé dans un lac alimenté naturellement par la nappe. Pour l’organisation de spectacles, des projections sont faites sur les fronts de taille monumentaux.
A St Herblain (44), en banlieue de Nantes, une ancienne carrière a été transformée en parc, pourvu d’un jardin méditerranéen. Une salle de spectacle pouvant accueillir 2500 visiteurs a été implantée sur la berge du plan d’eau. Une promenade aménagée par l’agence de paysage Phytolab.
Dans les années 1990, l’agence Bruel-Delmar réaménage la carrière de Biville, dans la Manche (50) : un front de taille de 450m de long et 40m de haut qui se reflète dans un lac. La colline des terres de stériles est replantée pour accélérer le processus de cicatrisation dans le paysage.


Des opportunités scientifiques

La gravière Audoin à Angeac-Charente (16)

A Angeac-Charente (16), l’extraction de grave dans le lit majeur de la Charente a permis la découverte de fossiles de dinosaures d’une taille exceptionnelle. Chaque été, lorsque le niveau de la nappe baisse, le carrier cesse son activité pour céder la place aux paléontologues.







Le développement des énergies renouvelables

En Dordogne, la doctrine préfectorale oriente l’implantation des sites de projets photovoltaïques vers le réemploi des sites industriels désaffectés. De nombreux projets sont à l’étude. Les anciennes carrières, souvent à l’abri des regards, dans des zones en creux ou masqués par des merlons, éloignés des zones d’habitation, semblent effectivement les plus adaptés, sur le plan paysager. Le raccordement au réseau électrique n’est en revanche pas toujours assuré par cet éloignement, et cette donnée occasionne des impacts et des coûts à prendre en compte.
De plus, si les sites sont abandonnés depuis un certain temps, la recolonisation végétale spontanée des sites en accroît la biodiversité. Sur les sites très secs, des pelouses calcicoles abritent des espèces végétales et des insectes endémiques souvent protégés, dans les gravières et carrières d’argile, les zones humides deviennent des biotopes qui revêtent rapidement un caractère patrimonial.
Emergent des projets de centrales flottantes sur les plans d’eaux de ces anciens sites d’extraction, de plus en plus décriés par les écologistes, pour leur impact sur la faune aquatique et le leurre qu’ils constituent pour les oiseaux.
L’équation est donc difficile entre la recherche de sites industriels et dégradés pour relâcher la pression sur les sites agricoles et naturels, et l’enrichissement écologique progressif de ces sites qui ont perdu leur usage. La solution tiendra probablement à équiper les espaces artificialisés encore en activité et situés au plus proche des besoins, tels que usines, grandes surfaces, parkings couverts, immeubles collectifs…

Carte des carrières calcaires, source Géorisque
En vert, les carrières souterraines désaffectées et en rouge, les sites en exploitation en 2019. Les cercles entourent les sites illustrés dans l’article.

  Sources

- Schéma départemental des carrières, 1999.
- Données 2020 du Schéma régional des carrières en cours l’élaboration
- Liste récente des gisements en exploitation
- Carte des cavités souterraines
- Répertoire des carrières de pierre de taille exploitées en 1889, comprenant la description de chaque carrière et chaque nature de pierre est agrémentée d’une notice sur les grands monuments qu’elle a permis de construire. Sont répertoriées pour la Dordogne 38 carrières en exploitation à la fin du XIXe pour la construction des édifices et des ouvrages
- Législation concernant les carrières
- >https://presse.ademe.fr/2019/12/etude-la-construction-neuve-beaucoup-plus-consommatrice-de-materiaux-que-la-renovation.html]
- Document de sensibilisation réalisé sur les gravières de la vallée de l’Hérault

Voir aussi