Perceptions culturelles du Périgord Limousin

L’unité de paysage du Périgord Limousin qui recoupe en partie le « Périgord Vert » des guides touristiques est assez peu caractérisée par les représentations anciennes. Aujourd’hui, si les images de paysage restent rares, le travail de valorisation et de protection mené par le parc naturel régional Périgord-Limousin - son périmètre englobe la partie nord de l’unité – contribue à exprimer un peu mieux ces paysages de forêts, de cours d’eau et de vallées. Au sud-est de l’unité, les images anciennes valorisent surtout les vallées de la Doue ou de l’Auvezère, leurs coteaux abrupts et pittoresques animés ponctuellement des motifs d’anciennes forges ou de moulins.

Gilbert Privat (1892-1969) Soir à Jumilhac, sd, coll. Particulière
Extrait de Jean-Michel Linfort, Le Périgord des peintres, Fanlac, 2010
Cette œuvre picturale met en scène le village dans un paysage « dramatisé » par l’encaissement de la vallée de l’Isle.

  Des caractères paysagers « limousins »

« En se rapprochant du Limousin, le Périgord se couvre de vallées verdoyantes et de douces collines, d’étangs et de cours d’eau qui drainent de riches pâturages. Villages et hameaux se laissent surprendre dans cet environnement encore bien protégé. »
Dominique Audrerie, Le Périgord, Sud-Ouest (Guide touristique Connaître), 2009

  Rivières et étangs, motifs hégémoniques

Rivières et étangs sont les principaux éléments du paysage représentés, avec les motifs patrimoniaux des châteaux et des maisons fortifiées.

L’étang, le plan d’eau

Jules de Verneilh (1823-1899), Saint-Estèphe [paysage avec étang]
Archives départementales de Dordogne, 53 Fi 02

L’étang, les rochers, le signal d’un monument perché (ici la tour de Piégut) : au cœur de l’unité, à Saint-Estèphe sur les bords de la Doue, un paysage au charme mis en scène par le dessinateur Jules de Verneilh.

L’étang de Saint-Estèphe, cartes postales anciennes, coll. particulières
Ces cartes postales, dont les dates d’édition s’échelonnent du début à la fin du XXe siècle, perpétuent le motif de l’étang dans le temps.
Thomas Pichot, l’étang de Saint-Estèphe, site de partage de photos en ligne Flikr, 2016
https://www.flickr.com/photos/pichotthomas/24616137842/

L’étang est un des éléments « naturels » des paysages du Périgord Limousin parmi les plus représentés par les photographes professionnels ou amateurs d’aujourd’hui. Et particulièrement l’étang de Saint-Estèphe, classé depuis 1934 pour son intérêt pittoresque.

De gauche à droite : Abjat (Coll.Part.) La Coquille (Archives départementales de Dordogne, 2 Fi 578). En bas, Mialet, (Coll. Part.)

Un autre exemple de la persistance du motif de l’étang et du bâti patrimonial dans les représentations des paysages du Périgord Limousin.

La rivière naturelle et sauvage

Les paysages du Périgord Limousin s’inscrivent aussi dans un imaginaire de moyenne montagne. Les rivières, quand elles présentent des caractères « sauvages », « naturels », deviennent des éléments des paysages très souvent repris par les cartes postales anciennes. Le Parc naturel régional du Périgord-Limousin qui agit pour valoriser et protéger les eaux de rivière (particulièrement celles de la Dronne) contribue aussi à perpétuer cet imaginaire paysager.

À gauche, Saint-Mesmin (AD 24 2 Fi 3801) ; à droite en haut, La Loue à Dussac (AD 24 2 Fi 683) ; à droite en bas, Génis (Coll.part.)

Les eaux vives font partie des motifs habituels des cartes postales anciennes. Ici, dans le Périgord Limousin, elles font écho au pittoresque du Massif Central auxquels ces paysages appartiennent, bien qu’à la marge.

La Dronne à Saint-Pardoux-la-Rivière, sd
Archives départementales de Dordogne, 2 Fi 1975
Dronne, PNR Périgord-Limousin, sd

Les modes de représentation de la rivière, axés sur le cours de l’eau, ont peu évolué au cours des années. La restauration de la continuité écologique de la Haute-Dronne et la préservation de la moule perlière qui y est présente font l’objet d’un financement européen LIFE. Ce programme donne lieu à une communication spécifique. Le site dédiée [1] présente peu de photos localisées et ne crée ainsi que peu de représentations paysagères des vallées périgourdines. Elles contribuent cependant à forger un imaginaire de paysages semi-montagnard, aux ambiances fraîches et naturelles.

  Les chaos rocheux granitiques

Les rochers, isolés ou affleurants dans les fonds de vallées sont des éléments reconnus du pittoresque de l’unité du Périgord Limousin.

Payzac et ses environs - Cascade du Saut-Ruban, Saint-Pardoux-la Rivière, chute d’eau du Chalard où la Dronne franchit les rochers en torrent.
Archives départementale de Dordogne, 2 Fi 1174 et 2 Fi 1975
Saint-Estèphe, Chapelet du diable, Roc Branlant, cartes postale anciennes, sd, Coll, part

Les chaos granitiques ou tors granitiques sont communs dans le Limousin. Ils constituent des attractions notamment dans des paysages boisés souvent peu différenciés. À Saint-Estèphe, les sites du chapelet du Diable et du Roc Branlant ont été classés en 1934 [2] au titre de la loi de 1930.

Alain Hesault, Le Chaos granitique avec le Roc Branlant, le chapelet du diable, le lavoir, La Doue, l’étang des Cygnes, 2009, site de partage de photos en ligne Flikr
https://www.flickr.com/photos/jacqueshesault/3800563450/

Le même intérêt aujourd’hui qu’hier pour les figures pittoresques des chaos granitiques associés à leur environnement de sous-bois et de ruisseaux.

« Le caractère pittoresque de ce Roc en équilibre et de cet écoulement de rochers à proximité d’un charmant étang est indéniable même si nous ne possédons plus les raisons exactes qui ont motivé la protection de cet ensemble.
Au site du Roc Branlant et du chapelet du Diable sont également associées de nombreuses histoires populaires qui font la renommée et l’intérêt de ce site. Ainsi raconte-t-on que le Diable aurait terrorisé un moine et en prenant la fuite, ce dernier aurait jeté son chapelet béni à la face du Diable.
Le chapelet se brisa et les perles se dispersèrent en un sentier longeant la rivière.
L’origine du Roc Branlant a également fait l’objet de plusieurs ouvrages confrontant les thèses d’une origine géologique ou archéologique ».

In :Atlas des sites classés et inscrits de Dordogne, DREAL Aquitaine, sd

  Le patrimoine industriel des vallées

Les nombreux vallées et vallons qui entaillent le socle du Périgord Limousin ont été à l’origine d’installations de foyers artisanaux (moulins, forges, petites usines) le long de leurs rives. Ces établissements ont suscité des représentations dans le corpus des cartes postales anciennes. Ils sont considérés aujourd’hui comme un patrimoine à protéger et valoriser même si leurs représentations comme éléments du paysage demeurent tout compte fait peu nombreuses.

Les moulins

De gauche à droite : moulins à Chalais, à Chatain près de Payzac, à Lanouaille, cartes postales anciennes, première moitié du XXe siècle, coll. part.

Les usines

Patrimoine industriel des vallées : Lanouaille, Thiviers, Payzac, cartes postales anciennes, début XXe siècle, coll. part.

Les usines installées dans les vallées et vallons du Périgord-Limousin, étaient des occasions, pour les photographes des cartes postales anciennes, de représentations paysagères parfois très pittoresques.

Les forges

L’activité sidérurgique très importante de l’époque gallo-romaine au XVIIIe siècle (fonderies et tournage de canons) en Dordogne était encore bien présente à la fin du XIXe siècle, notamment dans les vallées de la Doue et de l’Auvézère. De nos jours, l’activité a totalement disparu mais de très nombreuses forges recensées au XIXe siècle laissent leurs traces au travers d’étangs, biefs, lavoirs à minerai et autres halles à charbon. Des actions de valorisation parmi lesquelles celles du CPIE « Espace fer et forges d’Etouars » mettent en valeur ce patrimoine et contribuent surtout, à défaut d’un renouvellement des représentations de ces paysages, à en perpétuer la mémoire industrieuse et sociale.

« A l’époque, on comptait une vingtaine de forges sur la Doue et sur l’Auvèzère. Et si elles étaient si nombreuses dans cette région frontalière entre la Dordogne et le Limousin, c’était parce que les grands propriétaires disposaient de tout ce qui leur était nécessaire pour les alimenter : le minerai, qu’ils mélangeaient à de la castine, les forêts pour le charbon de bois avec lequel ils chauffaient les fours, et l’eau des rivières pour faire tourner les roues qui actionnaient la soufflerie indispensable à une bonne combustion ».

Christian Signol, Les Messieurs de Granval, Albin Michel, 2005

« Mon père, Eloi Granval, un homme brun, sévère, épais, coléreux, régnait sur un domaine de plus de trois cents hectares, dont la plupart étaient confiés à des métayers, lesquels venaient presque tous travailler à la forge pendant l’hiver. Nos terres s’étendaient jusqu’à Tourtoirac à l’ouest, jusqu’à Anlhiac à l’est, dans une large vallée creusée par l’Auvézère, que limitaient au nord les collines d’Excideuil, au sud de celles d’Hautefort. Le château était blotti au cœur de cette vallée verte, entre des ormes et des chênes immenses qui émergeaient de son enceinte et le protégeaient du monde extérieur. Le long de son mur, à l’est, une route poussiéreuse menait à la forge et aux communs qui se trouvaient cent mètres plus bas, au bord de la rivière dont les eaux, plus grises que vertes, charriaient en ce mois d’octobre les premières feuilles mortes. »

Christian Signol, Les Messieurs de Granval, Albin Michel, 2005

Savignac-Lédrier, le château et la forge, carte postale début XXe siècle, coll. part.

Active depuis le XVe siècle jusque dans les années 1930, la forge de Savignac-Lédrier est située sur l’Auvézère. Le haut fourneau, la halle, les logements des ouvriers dominés par le château dessinent ici un paysage marqué par l’activité économique et sociale.

« La route qui mène à Jumilhac-le-Grand est très pittoresque. Elle traverse la haute vallée de l’Isle, étroite et profonde. Des forges abandonnées la bordent, avec de fiers logis, témoins de la grandeur passée des maîtres de forge.
À Lanouaille, nous retrouvons le souvenir du maréchal Bugeaud qui, en son château de la Durantie, s’efforça d’apporter de nouvelles techniques dans l’agriculture. Les communs, proches du château, montrent l’importance du domaine à l’époque, ainsi que la volonté de rationaliser l’exploitation.
À Vaud, les vestiges importants d’une ancienne forge sont encore bien visibles, comme d’ailleurs dans de nombreux sites des gorges de l’Auvézère, favorables à l’implantation de forges et de moulins.
Mais c’est à Savignac-Lédrier que l’on trouve les installations les plus typiques. La forge fut active de 1421 à 1930, produisant des fontes de grande qualité. Elle mobilisait une population importante, nécessaire tant pour la fabrication de la fonte que pour acheminer les matières premières. Le haut fourneau, la halle, les logements des ouvriers et toutes les installations avec leurs mécanismes sont en place. Le département de la Dordogne, devenu propriétaire de l’ensemble, a engagé sa restauration. La résidence des maîtres de forge domine la forge. Elle présente un corps de logis flanqué de deux tours cylindriques. D’origine médiévale, les bâtiments ont été repris à la Renaissance. Une belle porte ornée d’arabesques du XVIe siècle est conservée dans les jardins. »

Dominique Audrerie, Le Périgord , Sud-Ouest (Guide touristique Connaître), 2009

Joel Picard, La forge de Savignac, 2012, site de partage de photos en ligne Flikr

Le paysage de la forge flanquée de son château renaissance a peu changé et attire toujours les regards. Il se présente désormais sous une forme plus riante notamment par l’emploi de la couleur et d’une manière générale beaucoup plus aseptisée.

Étouars, carte postale début XXe siècle, coll. part.
Au nord de l’unité de paysage, dans le périmètre du PNR Périgord-Limousin, un autre site industriel lié au fer : les forges d’Étouars sur le ruisseau des Forges, affluent de la Doue.

[2En 2011, le périmètre du Site classé a été étendu afin d’intégrer le village des petits moulins, le canal qui l’alimentait en eau, le massif boisé en limite ouest de l’étang des cygnes, les abords en limite sud du Briodet Haut et les abords en limite est proche du Grand Etang. Ces éléments appartiennent à l’imaginaire collectif du Périgord et nombre de légendes et histoires fantastiques entourent ce site.