Henry Wlgrin de Taillefer, portrait d’un archéologue périgourdin (1761-1833)

Rédaction par le Service Départemental du Patrimoine

Lorsqu’on évoque Villamblard, on songe rapidement à son château et à son propriétaire le plus célèbre, le comte Henry Wlgrin de Taillefer (1761-1833). Grand collectionneur passionné par les antiquités, il est le pionnier de l’archéologie périgourdine à la charnière des XVIIIe et XIXe siècles.

Portrait de W. de Taillefer

C’est au cours du XVIIIe que les bases de l’archéologie et de l’histoire de l’art sont posées, notamment par Winckelmann (1717-1768). L’objectif est dès lors de mettre en relation les textes anciens et les découvertes récentes. Winckelmann propose une chronologie des styles pour mieux comprendre la création d’une époque. Comme théoricien, il peut être considéré comme le fondateur de l’histoire de l’art et de l’archéologie en tant que disciplines modernes. Son travail donne un cadre de référence à tous les amateurs, collectionneurs et artistes pour comprendre l’art antique. Le voyage en Italie, prisé par les humanistes depuis le XVIe siècle devient alors un incontournable, ce qui permet d’assurer une reconnaissance culturelle aux antiquaires et intellectuels.
L’histoire des collectionneurs et des antiquaires se développe à la Renaissance. Collectionner des objets étranges – étrangers-, explorer des monuments jettent les bases d’une culture du rare, de l’exotisme et de l’ancien, de plus en plus prégnant aux siècles postérieurs, XVIIe et XVIIIe siècles.
Par définition grands collectionneurs, les antiquaires du XVIIIe siècle sont avant tout des précurseurs de l’archéologie, à l’image de Taillefer. Ils se passionnent autant pour la collection d’objets antiques que pour leur histoire. Ces amateurs éclairés, appelées aussi « curieux » (c’est un mot qui désigne les collectionneurs d’objets précieux ou rares), sont issus des mêmes milieux aisés, membres de la noblesse ou de la grande bourgeoisie. Ce sont ces mêmes érudits qui ont réalisé les premiers relevés et inventaires de curiosités et de monuments.

Illustration d’un cabinet de curiosité

Ce goût pour les antiquités trouve un parallèle à Périgueux, où une série de découvertes gallo-romaines remarquables est faite. L’intérêt de l’amphithéâtre de Périgueux naît au XVIIIe siècle, en premier lieu avec les lavis de Henri François Jourdain de la Fayardie (1759).

Dessin de J de la Fayardie 1759

C’est cet antiquaire qui décrit le premier les différents monuments antiques périgourdins. Wlgrin de Taillefer sera son digne successeur quelques décennies plus tard.
L’idée de préserver les bâtiments anciens est apparue juste après la Révolution, période pendant laquelle de nombreuses destructions d’églises et de châteaux ont eu lieu. L’implication et la conviction de Taillefer s’inscrivent donc parfaitement dans ce contexte de prise de conscience patrimoniale qui se dégage progressivement à la fin du XVIIIe siècle.
De l’Ancien Régime, Wlgrin a hérité le goût des cabinets de curiosités ; très jeune, il se constitue une collection de médailles en argent, bronze et or, et pièces de monnaie gallo-romaines, de bronzes gaulois, et de pierres sculptées gallo-romaines… Sa collection contenait déjà en 1783 plus de 400 pièces et constituait son « cabinet d’antiques », comme il le nomme, qui se trouvait dans une tour, aujourd’hui disparue du château de Villamblard. Un catalogue de sa collection de médailles est conservé aux Archives départementales de la Dordogne.

Page du catalogue de la collection de monnaies et médailles de W. de Taillefer

La Révolution contraint Taillefer à s’exiler. A son retour en 1800, il vend le château de Villamblard et s’installe à Périgueux. C’est là qu’il va consacrer son temps et ses revenus à la sauvegarde et à la préservation du patrimoine, et notamment des vestiges gallo-romains de la capitale périgourdine. Aidé de son ami Joseph de Mourcin, Wlgrin comprend vite l’intérêt des ruines et consacre sa fortune à leur conservation.
En 1808, il constitue le premier musée archéologique installé dans le grand vomitoire des arènes de Périgueux. Il avait prélevé des blocs antiques réutilisés dans le rempart du Bas-Empire et les avait regroupés dans les ruines de l’amphithéâtre. Plusieurs fois déplacée, cette collection lapidaire d’archéologie gallo-romaine trouve refuge dans un local du rez-de-chaussée de l’évêché, sous l’ancienne bibliothèque municipale, et forme le premier fonds du Musée départemental d’archéologie, créé en 1835. De Mourcin en deviendra le premier conservateur.
Parallèlement, Taillefer achète les terrains avoisinant la tour de Vésone, pour en protéger l’environnement et le fort potentiel archéologique. L’archéologue obtient l’autorisation d’enfermer la tour dans son grand jardin, la contrainte étant d’y admettre les visiteurs tous les jours et à toute heure. Il avait l’espoir d’y construire un musée, pour lequel il n’obtiendra pas les crédits nécessaires. En 1810, Wlgrin de Taillefer traduit sous forme de dessin les conclusions qu’il tire de ses connaissances.

Reconstitution des principaux monuments de Vésone au 1er siècle de lavis attribué a W. de Taillefer 1810

Avec Joseph de Mourcin, ils fouillent l’intérieur de la tour de Vésone et les alentours en 1812 puis en 1820. Ils sont les premiers à avoir reconnu que la tour correspondait à la cella d’un temple rond.
En 1821, il publie le premier tome des Antiquités de Vésone, puis le second en 1826, somme de ses recherches et démonstration de l’ancienneté et de l’importance du Périgord dans l’histoire. Ce sont véritablement les premiers ouvrages scientifiques d’archéologie périgourdine.

On ne peut pas évoquer les activités de Taillefer sans évoquer sa résidence natale. Entre forteresse et résidence, le château de Villamblard était à l’origine la propriété de la famille de Barrière, puis par mariage celle de la famille de Lur, et enfin celle des Taillefer. Barrière relevait de l’importante châtellenie de Grignols au XIVe siècle. Le château est remanié et agrandi du XVe au XVIIe siècle. En partie détruit après la Révolution pour servir de carrières de pierres, il est vendu en 1809 par Wlgrin de Taillefer.
Le cadastre ancien du XIXe siècle permet d’appréhender l’environnement direct du site avant ses transformations. Il alternait alors deux tours rondes et carrées, et était entouré d’une double enceinte de fossés. Décrit en 1631, le château consistait alors en deux grosses tours rondes à l’est, réunies par un grand corps de logis. Au sud, une tour carrée distribuait un corps de logis, ainsi qu’au nord. L’entrée du château s’effectuait à l’ouest, protégée par un pont-levis qui enjambait les douves. A l’ouest encore, une terrasse était bordée par les communs.

Plan du Château de Villamblard, cadastre ancien, début du XIXe siècle

Il subsiste aujourd’hui une partie des corps de logis, la base d’une tour abritant une chapelle, l’emplacement du pont-levis et une partie des douves.

Vestiges du Château de Villamblard
Vue de la salle de réception du Château

Une partie du logis Renaissance a disparu, mais la cave du XVIe siècle est conservée ainsi que la salle de réception au rez-de-chaussée . L’imposante tour circulaire sud-est vue sur le cadastre ancien est rasée en 1860 après avoir été séparée du château proprement dit pour le passage de la rue quelques années auparavant. En 1898, un violent incendie ravage ce qui reste de l’édifice ; il est à l’origine de la brèche récemment comblée. Les derniers propriétaires privés font don des ruines de ce château à la commune de Villamblard en 1924. Sa protection au titre des Monuments historiques en 1948 n’a pas empêché l’effondrement d’une partie de la tour de la chapelle en 1980. On peut voir une baie éclairant la chapelle.

Intérieur de la chapelle

Le sommet de la tour rescapée est couronné d’un chemin de ronde présentant un parapet sur mâchicoulis dont les sculptures trahissent le désir d’ostentation des commanditaires du XVIe siècle. La particularité de ces coquilles Renaissance est l’alternance du traitement concave et convexe.

Détails des machicoulis de la tour