Perceptions culturelles de la Double et du Landais

À l’ouest du département, cette vaste unité de paysage qui s’étend de chaque côté de la vallée de l’Isle tient une place discrète dans le corpus des représentations de la Dordogne. Les rares images ou descriptions anciennes confortent jusqu’à la fin du XIXe siècle une réputation d’insalubrité et de pauvreté. Les images contemporaines, toujours peu nombreuses, sont en grande partie centrées sur la forêt et les étangs, principaux motifs et atouts touristiques de l’unité de la Double et du Landais. L’architecture patrimoniale, comme presque partout en Dordogne, anime aussi les représentations les plus courantes, et permet parfois d‘ouvrir le champ visuel sur le paysage environnant.

V. Tassaint, Le Bignac par St-Germain-de-Salembre, carte postale ancienne, XXe siècle
Bibliothèque numérique du Périgord, 2 Fi 1923

« La Double, vaste contrée de 48 000 hectares, s’étend entre les parties inférieures des vallées de l’Isle et de la Dronne. C’est la portion la plus infertile et la plus malsaine de ce beau département. Çà et là on y rencontre quelques champs cultivés, quelques vignobles qui tendent chaque jour à se multiplier aux dépens des bois de pins mais l’œil ne découvre partout ailleurs que des ajoncs, des coteaux stériles et des « nauves », prairies mouillées, où prennent naissance des brouillards empoisonnés qui rendaient cette région presque inhabitable avant les travaux de desséchement des étangs qu’on y rencontrait, lesquels ont, en partie, été exécutés par des religieux (trappistes) établis dans ces parages. »

Adolphe Joanne, Géographie du département de la Dordogne, Hachette, 1877

« […] peu à peu, le sol prend un aspect sablonneux et pauvre ; les montagnes se sont éloignées, nous roulons sur un vaste et monotone plateau d’où la vue s’étend, au-dessus de la vallée de l’Isle, cachée dans un enfoncement, vers les cimes boisées qui forment la limite orientale de la Double. Les maisons sont rares et bâties en bois, la pierre de tailles, orgueil du haut pays, et même le moellon faisant défaut ; les toits de chaume se montrent çà et là. Aux bords de coupures formées par des ruisseaux qui se traînent languissamment, quelques prairies s’étalent peu fournies et parfois marécageuses. La culture en billons domine. Au sommet de ces remblais s’agitent des froments clairsemés, des sarrazins et des rangées de citrouilles qui remplacent, sans doute, le maïs. Les terres labourées semblent battues et devenues dures comme du mortier sous l’action des pluies qui depuis six semaines, n’ont presque pas cessé. La vigne se cultive en joalles, dont beaucoup malheureusement sont à double et triple rang ; elle végète bien. C’est dans ce triste pays que se trouve la station de Beaupouyet. »

M. L. De Lamothe, Voyages agricoles en Périgord et dans les pays voisins, Dupont et Cie, 1880

« En d’autres temps, j’aurais été envieux de voir la ville, mais pour lors, la peine m’ôtait toute idée de m’intéresser à tant de choses si nouvelles pour moi. Les gens, dans les rues, sur le pas des portes ou des boutiques, nous dévisageaient curieusement, connaissant bien à notre air et à notre accoutrement que nous étions sortis de quelque partie des plus sauvages du Périgord : de la Double, ou des landes du Nontronnais, ou de la Forêt Barade, comme il était vrai. »

Eugène Le Roy, Jacquou le Croquant,1899

  Des paysages globalement méconnus

En 1995, les auteurs du Plan de paysage de la vallée de la Dordogne [1] notaient que la reconnaissance de la Double [2] était liée principalement à la qualité et la diversité des éléments naturels (forêt, cours d’eau, étangs), au patrimoine architectural des bourgs, des hameaux et des fermes isolées au caractère resté homogène. Mais parallèlement ils remarquaient aussi que « les paysages semblent méconnus voire sous-exploités pour leurs potentialisés touristiques et de loisir ». [3]

Il en est toujours de même aujourd’hui. La Double ou le Landais ne prennent toujours que peu de place dans la communication touristique institutionnelle. Non élus aux « incontournables du Périgord » [4], leurs paysages y sont peu individualisés et rendus visibles [5]. Autre exemple, la Double n’est pas citée dans la brochure papier de l’édition 2018 de « Dordogne Périgord, c’est de l’or ». Le Landais n’est présent que par le biais d’un circuit de VTT « Circuit de l’Isle et du Landais ». Ainsi, c’est essentiellement au niveau local, celui des « pays » ou des communes, que les paysages sont parfois évoqués.

« Montpon-Ménestérol est aussi le point de départ de promenades et de randonnées pour la forêt de la Double, toute proche, couverte de pins et de chênes, parsemée d’étangs avec ses maisons de torchis et colombages. »
https://www.tourisme-isleperigord.com/

« La commune de Saint-Léon-sur-l’Isle est située à 20 km de Périgueux, et à 4 kilomètres de l’échangeur autoroutier de Saint-Astier. Sur la rive droite de l’Isle, la route départementale 3 offre un itinéraire touristique entre la rivière et les coteaux verdoyants de la Double. »
https://www.tourisme-isleperigord.com/

« Le Pays de Saint-Aulaye vous séduira par ses paysages verdoyants, par ses nombreux cours d’eau où vous pourrez pratiquer en toute tranquillité la pêche et des activités de pleine nature. Riche d’un patrimoine vernaculaire et d’un patrimoine architectural, il vous surprendra ! »
Site de l’office de tourisme du pays de Saint-Aulaye, http://www.tourisme-saintaulaye.fr/

Les guides touristiques d’audience nationale sont moins avares de descriptions. Dans son édition de 1983 par exemple, le guide Vert Michelin présente La Double et le Landais parmi les différents « pays » du Périgord. Les principaux caractères des paysages y sont énoncés.

« La Double et le Landais (…) entre Dronne et Isle, la Double est une terre de forêts où le chêne pédonculé de haute taille et le châtaignier dominent ; le sol argileux et imperméable retient de nombreux étangs. Le Landais, moins sauvage, s’étend au Sud de l’Isle, les plantations d’arbres fruitiers y prospèrent ; le châtaignier fait place au pin maritime, les prairies se multiplient. Bordant la vallée fertile de la Dordogne, les riches coteaux qui dominent le Bergeracois jouissent d’un climat très doux permettant des cultures plus méridionales, tels les vignobles de Monbazillac. »

Périgord : Berry, Limousin, Quercy, (Guide vert), Michelin, 1983

Plus récemment, en 2007, le guide bleu « Périgord-Quercy » publié par Hachette proposait également une description assez précise et historique des paysages de l’unité.

« La Double et le Landais : ces deux régions boisées séparées par la vallée de l’Isle, la Double au nord et le Landais au sud, sont les plus nettement individualisées de tout le département. Sables, argiles et graviers se sont accumulés dans une zone d’affaissement. De part et d’autre de la vallée, ce sont les mêmes formations continentales descendues du Limousin. Les quelques ondulations de collines sont atténuées par la couverture boisée omniprésente qui trouve en sous-sol des conditions très favorables à sa croissance. Les futaies de chênes tauzins, les taillis de charmes et les châtaigneraies sont les espèces végétales les plus répandues des forêts jadis hantées par les loups et les sangliers. Depuis la fin du XIXe siècle, des pins maritimes ont été plantés à la place des landes. Dans certaines vallées, les eaux stagnent en traînées marécageuses, les « nauves », encombrées de joncs, et en étangs lumineux aménagés pour la pêche ou les loisirs, tel l’étang de Jemaye. Quelques fermes isolées et des hameaux se découpent sur fond de prairies naturelles où paissent des bovins. »

Périgord, Quercy, (Guides bleus), Hachette, 2007

Cependant, l’édition 2018 du guide vert Michelin Périgord Quercy (Dordogne-Lot) dans une « nouvelle formule » qui relègue les éléments de contexte géographiques, historiques et patrimoniaux en fin de volume ne fait quasiment plus de place à la Double et Landais. Seule la forêt de la Double aux « paysages sauvages de forêts parsemées d’étangs et d’habitat dispersé de maisons à pans de bois et torchis », dont « chênes et châtaigniers constituent la majorité du peuplement forestier » et « qui abrita de nombreux refuges de maquisards pendant la Seconde Guerre mondiale » est citée dans le cadre d’un itinéraire dans le Périgord Blanc.

  De rares images de paysages où dominent des éléments naturels

Quelques panoramas avec la forêt pour horizon

« Un doux brouillard noyait la Double, le soleil de novembre avait tenté de le percer sans succès. Juanna, dans la carriole secouée par le trottinement du bourricot, regardait ce paysage automnal. Elle le connaissait un peu pour l’avoir traversé deux ou trois fois en allant à la foire à la Latière, mais aujourd’hui, c’est avec d’autres yeux qu’elle voyait les taillis, les landes et les bois qui bordaient la route. »

Geneviève Callerot, Les cinq filles du Grand-Barrail, Éditions de Borée, 1983

Jean Callerot, Paysage de la Double, sd, collection particulière
Extrait de Jean-Michel Linfort, Le Périgord des peintres, Fanlac, 2010
Sols rougeoyants, prairies embrumées et bleutées parsemées d’arbres fruitiers, petits bosquets d’arbres en feuilles, lumière des champs cultivés cernés de haies jusqu’à l’horizon sombre de la forêt : en une succession de plans, Jean Callerot met en peinture le paysage agricole quotidien de la Double.

Jean Callerot, architecte, peintre pastelliste et agriculteur, peint la Double, son environnement ordinaire, comme un paysage de proximité aux coloris intenses, avec, comme l’écrit Jean-Michel Linfort « un bonheur de peindre brouillé qui fut longtemps en osmose avec celui de Geneviève, son épouse écrivain. Cette peinture habillée de joie reste affable et discrète, au tellurisme rentré par son hyperacousie avec la Double ».

Saint-Michel-de-Montaigne, Château de Montaigne, Vue panoramique prise de la terrasse (…) carte postale ancienne, XXe siècle.
Bibliothèque numérique du Périgord, 2FI1949
Le château de Saint-Michel de Montaigne, situé dans l’unité de paysage du Bergeracois offre, depuis sa terrasse donnant vers nord-ouest une vue immense sur les frondaisons de la forêt du Landais.
Saint-Germain-de-Salembre, vue panoramique, début XXe siècle, coll. particulière ; Échourgnac, vue aérienne, carte postale ancienne, seconde moitié du XXe siècle, coll. particulière
Les cartes postales anciennes et contemporaines représentent peu les paysages de la Double. Ces deux images font exception. La première propose un beau panorama sur le village de Saint-Germain-de-Salembre. Depuis un des coteaux de cet affluent de l’Isle, la vue est structurée par un horizon de collines boisées. La seconde vue, aérienne, montre de manière plus plate mais aussi plus immédiate, la situation, au centre de la Double, de la clairière de l’abbaye d’Échourgnac que ceinture la masse imposante de la forêt.

Étangs et ambiances boisées

Avec la forêt, les étangs constituent l’élément « naturel » le plus médiatisé de la Double et du Landais. Les images anciennes ou artistiques expriment le plus souvent des ambiances tandis que celles d’aujourd’hui s’attachent davantage à montrer la naturalité des lieux ainsi que les possibilités que ces paysages offrent pour les activités de loisir (nautisme, promenade…).

Robert Delfour, Étang de La Jemaye,sd, coll. Particulière
Extrait de Jean-Michel Linfort, Le Périgord des peintres, Fanlac, 2010
Robert Delfour, artiste périgourdin, met en scène dans ce lavis les qualités graphiques de l’étang de La Jemaye que l’on devine au travers des lignes verticales des troncs des pins de la Double.
Échourgnac, étangs de la Double, cartes postales, début et fin du XXe siècle, coll. particulière
Deux images pittoresques qui montrent chacune à leur façon les belles ambiances des étangs de la Double qui ici, à Échourgnac, ont été aménagés par les moines de l’abbaye de la Trappe de Bonne Espérance.
Étang à Saint-Jean-d’Ataux, https://www.tourisme-isleperigord.com
Un étang ceinturé par une masse boisée de feuillus et de résineux : un paysage emblématique dans les représentations de la Double.
Étang de la Jemaye, https://www.tourisme-isleperigord.com
La fonction de loisir de l’étang prend le pas sur celle de la représentation paysagère dans cette photographie du plan d’eau. Les équipements deviennent les principaux motifs de la prise de vue, l’étang n’étant plus qu’un élément de décor.

  Le patrimoine bâti, sujet indépassable mais non exclusif

Comme partout dans le Périgord, le patrimoine bâti, en raison de ses incontestables qualités, est au centre des représentations. Les belles églises de villages, les châteaux – moins nombreux qu’ailleurs – alimentent l’essentiel du fonds des représentations (cartes postales et photos d’internautes) de la Double et du Landais. L’attention aux constructions rurales et agricoles traditionnelles avec leurs murs en torchis identitaires de l’unité, reste plus modeste.

Carsac-de-Gurson, mosaïques de photographies mises en ligne par les internautes sur le site de partage de photos Flikr, 2019
Au cœur du Landais, l’essentiel des motifs représentés appartiennent au patrimoine architectural bâti de la commune, sans pour autant exclure totalement les paysages dont les qualités graphiques ont été bien repérées.
M Photography, Château de Gurçon, 2017 - site de partage de photographies en ligne https://www.flickr.com/
Laveyssière, dans la Double : mosaïque de photographies mises en ligne par les internautes sur le site de partage de photos Flikr, 2019

Les deux derniers montages de photos d’internautes montrent une réelle communauté de motifs de représentations entre ces deux communes de l’unité de paysage. Toutes s’attachent au patrimoine des châteaux, des églises, des fermes sans pour autant exclure les paysages qui les entourent et d’en mettre en valeur les qualités d’ambiance.

Slvgr87,Saint-Laurent-des-Hommes, 2018 - site de partage de photographies en ligne https://www.flickr.com/
L’architecture vernaculaire de la Double, motif à part entière du paysage rural de la Double.

[1SEGESA- STRATES, Plan de paysage de la vallée de la Dordogne, 1995

[2La Double et Landais sont tous deux considérés comme des « pays traditionnels du Périgord ». Ils sont souvent associés dans les descriptions géographiques et agronomiques pour leurs fortes similitudes paysagères dues en partie à la forte prégnance de la forêt de chaque côté de la vallée de l’Isle. Quand ils ne sont pas associés, la Double avec ses étangs plus nombreux est davantage citée et présente. Le « Landais » est ainsi peu décrit pour lui-même, alors que la « Double » bénéficie d’une plus grande singularité et peut à elle seule englober les deux « pays ».

[3Une étude sur les lieux de prédilection des touristes en Périgord publiée dans les années 1980 montrait également la faible fréquentation touristique de la Double et du Landais.

[5La désignation « Double » ou « Landais » n’est pas une entrée du chapitre « Découvrir : présentation de la Dordogne » sur le site Internet du Comité départemental du tourisme de la Dordogne : « https://www.dordogne-perigord-tourisme.fr »

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